CHAP 7... La "crise" du
IIIe siècle : aspects économiques et sociaux
I] La crise économique
A/ La crise monétaire
1) Remarques préliminaires
Elle est difficile a mesurer sur le plan
économique et social. Un des aspects les mieux connus est celui de la crise monétaire
avec ses conséquences fiscales.
Il faut établir quatre remarques tout d'abord : l'empire n'a jamais eu de
bonnes finances, même à son apogée sous les Antonins. On note déjà au IIe siècle le poids excessif des impôts pour renflouer les
caisses.
Après quoi le problème devient aigu avec la menace barbare. Rome est contrainte
d'entretenir une armée de plus en plus importante et permanente, nécessaire pour
protéger les provinces. A l'époque d'Auguste, on compte 25 légions ; en 235, elles sont 34 ; en 305,
une centaine.
Enfin, les pillages, dévastations et la ruine de provinces
entières. Ces troubles engendrent l'insécurité qui ne favorise pas une reprise du
travail dans les champs ou ateliers, et qui n'encourage pas les échanges. Les rentrés
d'argent en sont d'autant réduites.
Finalement, il faut préciser l'augmentation du poids des dépenses de
l'Etat, dépensier par obligation : les soldes des soldats et officiers augmentés pour
s'assurer leur fidélité. Mais aussi le développement de la chancellerie et des hauts
fonctionnaires. Sous Antonin le Pieu, il y a 109 postes de procurateurs chevaliers. Sous Philippe l'Arabe, 282. Dans les salaires
aussi, on ne compte qu'un seul tricénaire sous Marc-Aurèle, ils sont 12 sous Philippe l'Arabe.
1) Les difficultés économiques monétaires
On peut les mesurer par l'archéologie. L'examen des trésors permet de faire de
nombreuses observations sur les dévaluations des espèces en circulation. Le système
monétaire impérial mis en place par Auguste repose sur un équilibre entre trois types de monnaies : l'aureus
(monnaie d'or), le denier
(argent), et le sesterce
(cuivre). 1 aureus = 25* = 100HS = 4 000 as.
On a la création d'un nouvelle monnaie sous Caracalla : l'antoninianus dont la valeur n'est pas certaine, sous 1,5*, soit 2*. Sa frappe cesse
entre 219 et 238, la considérant comme surévalué. Après 238,
avec Gordien III, elle règne.
L'effigie de l'empereur est représentée avec une couronne radiée. L'antoninien pendant
le IIIe siècle perd de son poids et de sa teneur en métal précieux, c'est à dire son
titre.
Quand Caracalla
crée l'antoninien, il veut un poids fixe de 5,11 grammes avec 51,5% d'argent, le reste
étant du cuivre. Sous Claude II le Gothique, il passe à 2,5g avec 0,1g d'argent. C'est une monnaie de cuivre
faiblement argentée. Gallien
frappera des antoniniens saucés.
Pour l'aureus,
après 235, on a toujours des monnaies en or pur, mais leur poids diminue
aussi. Entre 230 et 260, l'aureus perd 60% de sa valeur
intrinsèque. Les monnaies d'or ne circule plus que dans les mains des hauts
fonctionnaires et des cadres supérieurs de l'armée. On en frappe encore pour les
échanges aussi. La catastrophe date d'Aurélien et de Gallien (253-265) avec la
réduction cette fois ci du titre de l'aureus.
2) Les conséquences de ces difficultés
a. le déclin de la monnaie d'argent et des autres monnaies
Tout cela engendre un phénomène de thésaurisation des bonnes espèces : or,
argent, et bon cuivre comme les sesterces et le dupondius.
On le sait en faisant l'examen des trésors, contenant d'excellentes
monnaies. C'est le cas des trésors de Faverges avec la thésaurisation des monnaies du Ier et IInd siècle. Les sesterces disparaissent au
milieu IIIe siècle, frappés en très petites quantités.
b. L'inflation monétaire
Avec la dévaluation, c'est la hausse des prix. Il n'y a pas d'exemples précis,
si ce n'est la variation de la livre d'or. Une livre d'or de 284g équivaut à 1 125
deniers sous Septime Sévère. Sous Dioclétien vers 285, elle vaut 60 000 deniers.
L'or se cachant, et l'argent ayant perdu de sa valeur, le système
traditionnel fondé par Auguste
sur le trimétallisme est considérablement détérioré. Même après la réforme
d'Aurélien en 274 avec la création de l'aurelianus avec 4,70%
d'argent. Les seules pièces qui circulent encore sont l'antoninianus et l'aurélianus
qui va très vite se dévaluer.
La hausse des prix a été réelle. Mais il faut distinguer des
périodes de stabilité et d'autres de hausse modérée. La pire des périodes en 253-260.
c. La hausse des prix
Entre Auguste et
Septime Sévère, les
spécialistes constatent que les prix doublent ; à mettre en parallèle avec la
diminution de 50% du titre en argent du denier.
Au IIIe siècle, les prix ont été multipliés entre 30 et 35,
donc des hausses moins importantes que celle de la monnaie. Mais des pics brutaux :
253-258 et 270-280.
Le prix du blé en Egypte est mesuré par le modius (6,58 litres). Vers 200 il coûte 2 deniers ; en 250,
4 deniers ; en 269, 6 deniers ; en 276, 50 deniers.
La conséquence de cette hausse est que seuls les riches avec leur
liquidité peuvent acquérir des marchandises au marché ; les agriculteurs, de leur
côté, conservent pour eux les productions. Ceci creuse un écart dans la société entre
pauvre et riche. On retrouve ainsi le troc à l'échelon local.
Mais la hausse des prix s'accompagnent d'une hausse des salaires.
Entre Ier et fin IIIe siècle, les
salaires sont multipliés par 50 ou 60. Mais les études révèlent que cette hausse ne
compense pas tout à fait celle des prix.
d. Distributions gratuites et imposition
C'est pourquoi Aurélien fera distribuer de façon permanente à Rome l'huile (instaurée par Septime
Sévère), ainsi que des rations de vivre et de vins, pour les ayants droit. De même,
Aurélien a substitué les distributions mensuelles de céréales de 5 modius par
des distributions journalières de pain.
En dépit de ces difficultés, le pouvoir impérial
accroît la pression fiscale pour les besoins de l'armée sous l'augmentation des soldes
(600 à 800 deniers). Les réquisitions pour l'annone ne sont pas remboursées ; et les
agriculteurs ne veulent plus cultiver leurs champs.
Mireille Corbier, dévaluation
et fiscalité (161-235), dans les dévaluations à Rome aux époques
republicaines et impériales - Rome, 1978 p.273-309
Corbier, dévaluation et
évolution des prix Ier-IIIe siècle
dans la revue numismatique n°27, 1985 p69-106.
e. La multiplication des ateliers monétaires et des monnaies
locales
Pendant les deux premiers siècles de l'empire et sous les Sévères, la frappe
des monnaies est réservée à l'atelier de Rome. Elle est assurée par des esclaves, supervisés par des affranchis,
eux-mêmes contrôlés par les tresviri monetales.
Il existe néanmoins également des ateliers dispersés pour l'usage local, notamment en
Orient. A Lyon, on compte un
atelier officiel d'Auguste à Néron sous la protection d'une cohorte
urbaine.
A partir du milieu du IIIe siècle, cela change avec de nouveaux ateliers installés
près des frontières et des soldats. Les monnaies frappées sont destinées
prioritairement à verser les soldes. Les régions frontalières voient ainsi circuler des
monnaies de plus ou moins bonne qualité.
Ces ateliers sont nombreux Milan, Carnuntum, Cyzique, Cologne etc... L'atelier de Milan est ouvert sous Trajan
Dèce. En 259-260 il émet toutes les monnaies : or, argent
et bronze. Cela continue sous Gallien. En 268, l'usurpateur Auréolus est assiéger dans Milan par Claude
le Gothique. Auréolus fait frapper des monnaies en or et des
antoniniani au nom de
Postumus. Claude II le gothique continue la pratique.
L'atelier de Cologne en Germanie s'est développé à partir de 256 et surtout
après 260 avec la cessation de Postumus. Il n'y a pas de frappe en faveur de Gallien et Valérien.
En 268 naît le deuxième atelier monétaire de Trêve, appelé à un énorme essor jusqu'à
la fin du IIIe siècle, en particulier car il est dans la mouvance du César Constance Chlore sous Maximien.
La conséquence de cette multiplication se présente
sur trois plans :
Une régionalisation de la circulation monétaire, avec un renforcement
de cette situation pour payer les soldats et assurer leur approvisionnement.
L'injection de liquidité dans les régions périphériques de l'Empire,
avec l'avantage évident qu'il contribue à faciliter la perception des impôts. Enfin il
favorise les échanges.
Le développement des imitations : en Gaule du Nord, En Bretagne, sous
les empereurs Gaulois.
B/ La Crise des productions et des Echanges
1) Une crise de la production de base
Elle s'exprime dans le domaine agricole et minier. Cela entraîne la crise dans
la production manufacturée. On a le témoignage de l'évêque de Carthage Cyprien : les mines d'or et d'argent s'épuisent, la terre est moins féconde
etc...
Les historiens explique cela par le manque de travail des terres a
cause d'une pénurie de main d'uvre, du désordre et de l'insécurité et des
corvées instaurées par l'Etat. Ainsi, le nombre des cultivateurs diminue, avec moins de
paysans, de matelots, et de soldats : ils choisissent de vivre du brigandage.
La pénurie de main d'uvre correspond-elle à une crise
démographique ? Un lien est possible avec l'épidémie de peste entre 250
et 275. Mais les épidémies ne sont pas seules responsables : les guerres
civiles qui voient les militaires vivre sur l'habitant. Le facteur humain serait donc à
l'origine de l'abandon des terres, de la réduction de la superficie des terres, de la
baisse de la productivité, les terres abandonnées se transformant en friche.
2) La crise des échanges
Il faut entendre par-là la crise des transports. L'Etat ne tient pas
particulièrement à l'entretien de routes ; il a autre chose à faire. L'insécurité en
est endémique. Sur mer on assiste à la recrudescence de la piraterie. On dispose d'une
inscription de Lycie d'un
praepositus de
vexhilation qui est honoré sous Valérien pour avoir ramené la paix sur terre et sur
mer.
Il y a toujours du trafic, mais il est moins important. Le ravitaillement
d'Italie est aléatoire : blé d'Afrique et huile d'Espagne. Le port d'Ostie entre en déclin à cause de l'ensablement. On connaît
des cas de famines, mais il ne faut pas généraliser à l'ensemble de l'empire.
II] Les répercussions sociales de la crise
1) La crise vue par les contemporains
Elles sont mal connues aujourd'hui, mais perçues par les contemporains : Dion Cassius, Tertullien. Ils sont conscients de changements sociaux. Ils observent un
affaiblissement du pouvoir des puissants : les aristocrates, tandis qu'ils remarquent
l'Ascension des humbles sous les Sévères : les chevaliers et les notables municipaux.
Mais au cours du IIIe siècle on dispose également des auteurs chrétiens comme
Cyprien, Denys d'Alexandrie ou encore Lactance, Eusèbe
de Césarée... Ces auteurs ont conscience également de ces
mutations. Ils affirment tous que les capacités et les mérites supplantent la fameuse dignitas des sénateurs, ainsi que la gens et la fortune. Ce phénomène est
étudié par Gez Alföldy
dans the crisis of the third century as seen by the contemporaries dans Die
crise des römisches Reiches p319-342.
2) Une déstructuration sociale
La répercussion principale serait la
déstructuration sociale qui serait le résultat d'une évolution des mentalités à
l'égard du travail et du monde du travail. Durant le Haut Empire, on avait une attitude
contrastée sur la question : on est dans l'ensemble d'accord pour dire que
l'enrichissement est un facteur d'ascension sociale. Ce qui frappe, c'est que
l'aristocratie a un mépris pour le travail manuel de l'homme libre (attitude romaine à
Rome). Dans les provinces il a plutôt valeur d'exemple.
Parallèlement à cette notion de
travail génératrice de profits, il y a un développement de l'intervention de l'Etat
dans l'économie. Elle gène l'initiative individuelle à cause de la pression fiscale.
Cet argent est piqué par l'imposition.
a. Le déclin de l'ordre sénatorial
On constate le déclin relatif de l'ordre sénatorial sur le plan politique et
militaire à partir de Gallien. Mais il conserve son ascendant social à cause de ses relations
parentales entres les familles, mais aussi le prestige du train de vie. Ascendant encore
par le jeu des clientèles avec les affranchis et le patronage des villes et provinces. En
223 sous Sévère Alexandre, la cité de Canusium affiche dans son album municipal une liste de 39 patrons dont 31
sénateurs.
Enfin le prestige moral : par le cursus, mais aussi car il
représente l'art de vivre civilisé face à la barbarisation des bordures de l'empire.
b. L'ascension de l'ordre équestre
La prolifération des bureaux et procuratelles, engendre le rayonnement des
chevaliers, à mettre en parallèle avec le développement de l'Etat autoritaire.
c. Les difficultés des notables municipaux
Pour les notables municipaux, ils connaissent des difficultés croissantes.
Pendant les Ier et IIe siècle, les cités sont les centres de la
diffusion de la civilisation greco-romaine et disposent d'une large indépendance locale.
Au IIIe siècle, il y a des atteintes à cette autonomie et à la fortune de
ces notables qui étaient élus en fonctions de leurs richesses aux magistratures
municipales. Il devait verser à la ville une summa
Honorara.
Courant IIIe siècle, ils connaissent des difficultés avec la baisse
du revenu de la terre. Et très tôt, Gaule, Germanie, Danube sont atteintes de ce marasme
économique. Les notables consacrent alors moins d'argent à l'évergétisme. On voit
ainsi la ratification des inscriptions. Mais toutes les régions ne sont pas
touchées : l'Afrique du Nord.
La pression fiscale porte sa contribution également : au
milieu du IIIe siècle, l'empereur nommera des curateurs de cités pour mettre de l'ordre dans
les finances. Ce sont soit des sénateurs, soit des chevaliers.
d. La population rurale
Il faut encore distinguer une disparité entre les régions. L'Afrique
proconsulaire reste prospère tout le IIIe siècle. Par contre sur les limes barbares, ce sont des déserts
humains qui se créent. En Gaule, on connaît les Bagaudes composées des déserteurs, des esclaves en fuite, des agriculteurs
ruinées etc.. Ils sont maître des routes et donc un affaiblissement des provinces
européennes de l'Empire.
III] La crise des consciences (V. Chap 9
)
Texte établi à partir d'un cours de faculté
suivi en 1999-0
Grands Mercis au professeur