CHAP 8... Les étrangers
A l'époque archaïque, il
n'existe pas de termes pour définir l'étranger. On utilise le mot xénos : "autre". C'est
celui qui reçoit et celui qui est reçu (l'hôte). La notion d'étranger est donc
intimement liée à celle d'hospitalité.
Ors cette
dernière est pratiquée essentiellement dans le domaine privée ; dans quelle mesure
s'intègre-t-elle dans la vie publique, et quels sont les rapports de cité à leur égard
?
I] L'attitude des grecs à l'égard des étrangers
A/ L'étranger grec (ou politique)
1) Critères de
distinction
a. Les critères politiques
Les cités grecques sont nombreuses, restreintes et
surtout elles sont des états indépendants. Chacune dispose d'un territoire délimité
par des bornes, ce qui entraînent souvent des contestations pour le contrôle d'une
partie du territoire et débouche sur des conflits interminables.
Ce monde est très cloisonné : tout citoyen d'une cité donnée est
considéré comme étranger dès qu'il sort des frontières de sa cité. Il devient alors
un voyageur qui ne bénéficie plus des garanties assurées par son statut d'homme libre,
sauf s'il est investit d'une mission officielle (héraut, ambassadeur
) ou s'il
existe des conventions entre la cité d'ou il vient et celles qu'il est amené à
traverser.
b. Les critères linguistiques
Tous les grecs parle la même langue, mais au sein
du monde grec il existe des divergences entre les dialectes pratiqués. Les principaux se
groupent en grande famille : Ioniens (Attique, côte de l'Asie Mineure) et Doriens (Péloponnèse, une partie de la Grèce Centrale, une partie de l'Asie
Mineure).
Ce n'est
qu'à partir de l'époque classique que le Ionien attique (dialecte d'Athènes) va progressivement devenir la langue commune des grecs : la Koinè. Ces différences linguistiques
ajoutées à celles du costume, renforce l'isolement du grec, autant que les tensions
politiques qui existent entre les cités. Certains grecs, notamment ceux de l'Epire, qui ne vivaient pas sous le régime de
la cité (nomadisme) et pratiquaient un dialecte très différents étaient même
considérés comme des barbares.
Ces
étrangers grecs sont normalement bien reçus dans les autres cités, sauf à Sparte.
2) Sparte et les étrangers grecs
a. La xénélasie
C'est la
politique d'expulsion des étrangers, véritable institution spartiate. Il s'agit de
bannir des étrangers entrés illégalement dans la cité et constituants une menace
politique et morale pour la cité. Ils sont soupçonnés d'être des agitateurs de l'eunomia spartiate. Surtout, ils
introduisent de nouveaux usages contraires aux coutumes établis (Surtout pour les
marchands).
C'est ainsi
que Sparte n'aurait connu ni
charlatan ni proxénète ?
b. Une cité xénophobe ?
Il faut tenir
compte du mirage spartiate qui nous donne une image caricaturale de la vie de cette cité.
Il faut rappeler que Sparte n'avait pas de vocation cosmopolitisme, et par principe elle
refusa l'introduction de la monnaie. Elle vit en autarcie grâce à son riche territoire
cultivé par les hilotes. Il existe bien un artisanat laconien : céramiques et bronzes.
Mais celui-ci est aux mains des périèques indigènes. Dans ces conditions, un étranger
peut pas s'installer à Sparte :
il ne peut être ni périèques ni citoyens. Ainsi, Laconie et Messénie ne
sont pas des terres d'immigration.
Si on
expulse des étrangers, c'est qu'il y en a un petit nombre, et ils sont de passage. Au
début de la guerre du Péloponnèse, résidaient à Sparte des Athéniens et des alliés
: Corinthiens, Mégariens. L'immense majorité de ces résidant étaient des grecs.
B/ L'étranger non-grec ou le barbare
1) Les facteurs d'opposition
a. La langue
La notion
s'applique à toutes personnes dont la langue est incompréhensible aux grecs. A Athènes, les archers scythes parlaient grec
avec un fort accent et sans respecter la syntaxe, un dialecte douteux et peu correct, dont
se moquaient les athéniens comme le montre les pièces d'Aristophane.
On perçoit
nettement une différence qui peut aisément se traduire par un jugement de valeur. D'une
manière générale, les grecs souffrent d'un complexe de supériorité, en partie
renforcé par l'émergence de la philosophie qui assoie le raisonnement et la clarté du
discours.
Le
bilinguisme est une rareté dans le monde grec. On recourait aux services d'un interprète
: un barbare hellénisé. En Egypte, dans la colonie grecque de Naucratis, ce sont des Egyptiens interprètes professionnels qui étaient chargés
de recevoir et de diriger les étrangers. Une exception : Thémistocle. C'est l'artisan de la victoire de Salamine 480. Après les guerres Médiques, il fut ostracisé puis
condamné à mort par les athéniens. Il se réfugie à la cour du roi de Perse (460)
Artaxerxés I qui l'accueille
chaleureusement. Thémistocle apprend alors la langue diplomatique de l'empire perse : l'Araméen.
b. La politique
Les Perses sont
les principaux interlocuteurs des grecs. Ils sont dirigés par un souverain tout puissant,
c'est le roi des rois. Ors à l'époque classique, les grecs vivent sous un régime
démocratique ou oligarchique. Cette monarchie est considérée comme un archaïsme. De
plus, dans les pays barbares, même les plus puissants se considèrent comme des esclaves
vis à vis des souverains (rites de la proskynèse). Ce comportement ne dérange pas les barbares car ils ne connaissent pas
le concept politique fondamental inventé par les grecs qu'est la liberté.
De nombreux
récits nous sont parvenus d'ambassadeurs grecs refusant au nom de leur dignité d'homme
libre de se prosterner devant un roi barbare. Dans la mémoire collective, les guerres
médiques sont considérées comme la lutte entre hommes libres et esclaves. De plus les
grecs, dans des cités limités, sont des citoyens soldats ayant à cur de défendre
leur patrie. L'empire Perses en revanche est immense, sans homogénéité culturel, et les
gens se battent pour obéir à des ordres.
C'est en
partie pour cette raison que les grecs peux nombreux ont réussit à défaire une armée
immense, mais faible sur les plans de la discipline et de la tactique. Cependant, les
rapport sont plus mitigés avec une fascination pour les barbares.
2) Fascination exercée par les Barbares
a. L'or barbare
L'empire perse
est immense et les barbares sont en général caractérisés par leur démesure, aux
antipodes de l'idéal grec de modération. L'une des maximes de sagesse gravé sur le
fronton du temple d'Apollon à Delphes : "Rien de trop".
Cette
démesure se traduit par des excès de violence mais aussi par un luxe inouï. De fait,
l'or barbare est une source de fascination, qui quand ils s'emparent des trésors
abandonnés par les généraux perses découvrent une cuisine raffinée et leurs harems !
Après la bataille de Platée en 479, le
régent de Sparte Pausanias
s'empare du camp Perse et découvre des lits et des tables en or et en argent, des
cuisines délicieuses qu'il oppose à celle spartiate.
L'argent va
jouer par la suite un facteur de rapprochement entre Grecs et Perses. C'est grâce au
soutient financier des Perses que les spartiates pourront écraser les Athéniens à la
fin de la guerre du Péloponnèse. Xénophon s'engagea alors comme mercenaires au service des Perses (480).
b. Les civilisations barbares
Outre l'argent,
ce sont aussi les civilisations barbares qui fascinent les grecs, dont certains envisagent
des voyages dans l'empire perse. C'est l'origine de l'enquête d'Hérodote (Egypte, Syrie,
Mésopotamie, Mer Noire). Il est conscient de l'ancienneté des civilisations barbares
pour lesquels il a de l'admiration : ils sont pieux, font souvent des offrandes dans des
sanctuaires grecs.
Hérodote a consacré un long développement pour l'Egypte ancienne, ou ils
considère que certains dieux grecs auraient des origines égyptiennes.
3) L'intégration des barbares
Les grecs ont
des préjugés plus que du racisme. Un barbare, à condition de se prêter à une certaine
discipline, peut être considéré comme un grec. On est grec non seulement par sa
naissance, mais aussi par son éducation. On constate ainsi une évolution entre le IVe et le Ve siècle dans le sens d'une
ouverture vers les barbares hellénisé, qui s'exprime dans le panégyrique d'Isocrate : "on appelle grec plutôt les
gens qui participent à notre éducation que ceux qui ont la même origine que nous."
Au IVe siècle, Philippe
de Macédoine, souvent considéré comme un barbare participe
à un concours panhellénique, ce qui lui accorde un certificat d'hellénisme. La Carie, possède un roi indigène Mausole, parfaitement hellénisé, qui a fait
construire un gigantesque monument funéraire (le mausolée) qui comptera parmi les 7
merveilles du monde.
C/ Les théoriciens et la place des étrangers dans la
cité
1) Platon et la cité idéale
Platon récuse la politique spartiate mais voudrait des lois plus strictes dans les
lois. Il faut éviter les contacts entre les populations et les voyageurs. Les
marchands devraient être dans un port, disposant d'une administration spécifique. Les
placements doivent être contrôlés par la cité. Les voyages à titre privé doivent
être interdits. Quand aux personnes autorisées à sortir pour raisons officielles, elles
devront avoir dépassés les 30 ans.
Cela
correspond en partie à la réalité : le Pirée est doté d'une administration particulière et de sa propre police.
Beaucoup de citées disposent d'un port autonome (Byzance, Milet, Thassos...). Et les
ambassadeurs athéniens ont généralement 50 ans.
2) Enée le Tacticien, ou le cas des étrangers en cas de guerre
Il est auteur
d'un traité sur la défense des villes. Il s'agit d'un situation particulière, ce qui
explique le caractère rigoureux de la réglementation proposée.
On
préconise des contrôles d'identité ; les hôteliers doivent tenir des registres avec le
nom et l'origine de l'étranger. On enregistre également dans les archives de la cité le
nom des professeurs, des étudiants, et des artisans. On préconise aussi des mesures de
désarmement, la plus part des voyageurs entrant dans une cité étant armé en raison des
risques encouru lors du voyage. On leur demandera de déposer leurs armes à l'entrée de
la ville.
Enfin, il
prévoit l'expulsion des étrangers indésirables : les personnes qui n'ont pas le moyen
de loger à l'auberge, qui n'ont pas de relations et sont réduits à la condition de
vagabonds.
Ces
conditions s'inspirent en partie de la réalité.
II] Etrangers de passage et étrangers résidants
A/ Les proxènes : des citoyens en charge des étrangers de passage.
1) Définition
Après 480, se développe
l'institution de la proxénie. Le proxène est un hôte public ; c'est le citoyen d'une cité grecque,
chargé par une autre cité d'accueillir ses ressortissants. C'est une sorte de consul à
deux différences près : sa fonction n'est pas officielle : il ne s'agit pas d'une
magistrature, et il n'est pas citoyen de la cité qui l'a nommé.
L'orateur
et homme politique Démosthène
était proxène des Thébains.
Son premier devoir est d'accueillir les ressortissants, ce qui impose une certaine
richesse de sa part : il doit défendre les intérêts des ressortissants qu'il héberge.
En cas d'action en justice, il ne peut intervenir qu'en tant que témoin dans un conflit
qui opposerait un de ses hôtes et un citoyen. Si le besoin s'en fait ressentir, il peut
et doit fournir une escorte à l'un de ses hôtes. S'il ne rend pas l'hospitalité, il est
passible d'une amende infligé par sa propre cité.
2) La nomination
Du fait du
caractère semi-officiel, il peut arriver qu'une même personne soit proxène de plusieurs
cités, et inversement que plusieurs individus d'une même cité soit proxène d'une autre
cité.
Les
proxènes sont pressentis : ils ont déjà offert des services. La fonction est instituée
par un décret de proxénie.
Dans le cas d'Athènes, le décret de proxénie est votée à l'occasion d'un séjour du
candidat dans la cité. Inversement, il arrive que le bénéficiaire ait lui même avancé
des demandes. Il contact des citoyens en vue qui présenteront sa candidature à
l'Assemblée.
On peut
trouver des avantages à être proxène : certains n'hésitent pas à offrir des
pots-de-vin. La corruption est pratique courante dans la cité grecque, également dans
démocratie. L'orateur Démosthène, très influents à l'Assemblée, aurait ainsi reçu des sommes
colossales.
3) La condition du proxène
La proxénie
est plus un honneur qu'une fonction. C'est en partie pour cette raison qu'elle n'à pas de
durée : elle est transmissible aux héritiers. Les décrets de proxénie sont déposés
dans les archives de la cité, ensuite transcris sur une stèle en pierre déposée sur
l'acropole.
C'est avec
fierté qu'on montre son titre de proxène, parfois même sur les stèles tombales. La
cité le rend par des honneurs ponctuels ou permanent. Le proxène peut être invité à
banquet public, on peut lui offrir une couronne d'or ; à titre permanent on peut lui
octroyer une place d'honneur au théâtre (proedrie).
Tous ces
honneurs font l'objet d'une proclamation à l'occasion d'une grande fête religieuse. Le
proxène est amené à faire de nombreux déplacements entre les deux cités. On peut se
demander s'il ne bénéficiait pas d'une double citoyenneté, concept qui n'existe pas
dans la Grèce Ancienne.
Quand il
s'installent dans la citée dont ils sont proxènes, on leur accorde certains droits
citoyens : propriété immobilière (une maison seulement), délibération à
l'Assemblée... Sur le plan financier, ils obtiennent rarement l'égalité fiscale avec
les citoyens : ils sont considérés avant tout comme des étrangers résidants.
B/ Les métèques ou étrangers résidants
1) Origine des métèques
Si on se limite
à Athènes, les étrangers
résidants sont pour la plupart des grecs originaires des cités voisines, notamment Mégare et Thèbes. Il s'agit de cités avec lesquelles les athéniens pratique le commerce
terrestre. Des athéniens pouvaient être amenés à s'installer à Mégare ou à Thèbes.
Les
motivations de ces déplacements, pas toujours définitifs, sont dans ce cas
essentiellement politiques. Le commerce cependant est une raison largement répandue : on
retrouve dans ce cas des grecs d'Asie Mineure : Milet, Mer Noire.
C'est la diffusion de ce commerce international qui explique la présence à Athènes de
Barbares qui peuvent décider d'établir leurs résidences. Ils se fixent essentiellement
dans le port du Pirée ou l'on trouve des Phoeniciens, des Chypriotes, des Thraces, des
Egyptiens.
Cette
présence de barbares n'a pas suscité de rejet : ces populations barbares ont introduit
des cultes étrangers (Isis, Adonis) et ils sont une source de revenus et de toute façon
exclus du corps des citoyens.
2) Leur statut
On a mis au
point un statut qui définit strictement leur droit et devoir. "Métèque"
signifie celui qui a changé son habitation. C'est un homme libre, grec ou barbare. Grec,
il est généralement citoyen de sa cité d'origine, mais du fait qu'il a changé de
cité, il perd sa citoyenneté. Il faut un délai d'un mois avant d'être inscrit comme
métèque, ce qui implique d'être enregistrés dans un dème. Alors que le citoyen
reçoit un démotique, le métèque est noté comme "domicilié à"
Il doit
ensuite payer une taxe de résidence : le metoïkion. Celle-ci est aussi payée par les affranchis. Il s'agit d'un somme
symbolique payée chaque année : 12 drachmes pour un homme, 6 drachmes pour une femme.
Cela représente à peu près douze jours de travail. Son paiement est impératif : de
fait, un métèque qui ne pourrait pas la payer risque d'être mis en accusation pour
usurpation de citoyenneté.
En plus, il
doit payer les mêmes taxes que les citoyens. En absence d'impôts sur les revenus, ils
sot tenus de contribuer au paiement d'une taxe extraordinaire en temps de crise (Eisphora). Les plus riches d'entre eux, de
même que les riches citoyens sont censés remplir des charges publiques non politiques :
les liturgies. On choisit de
préférence des métèques grecs (entretien du gymnase, entretien et formation d'un
cur qui se produira dans les grandes festivités.). Dans les statut, il n'a que des
droits mobiliers.
3) Les activités des métèques
Beaucoup sont
des commerçants ou des artisans, ce qui ne permet pas pourtant de déterminer un statut
social. Il faut distinguer des petits commerçants et des patrons d'entreprises. Ils
jouent un rôle important dans la vie économique, particulièrement du secteur bancaire.
Certains métèques se taillent de grandes fortunes, se rapprochant ainsi des citoyens.
Certains mêmes s'intègrent dans des cercles.
Les
étrangers ont fournis à Athènes de nombreux orateurs et philosophes. On peut citer Lysias et Aristote.
4) Les métèques et les aléas de la politique
a. La révolution oligarchique de 403
A la fin du Ve siècle est instauré un régime oligarchique
soutenu par Sparte, connu
sous le nom de tyrannie des Trente.
Ce régime
prévoyait une réduction considérable du nombre des citoyens selon des critères
censitaires. Il s'en prend violemment aux proxènes : sous ce régime on détruit sur
l'acropole les décrets de proxénie. Les métèques sont arrêtés et leurs biens
confisqués. Lysias arrêté
dans ces circonstances parvient à s'enfuir, et avec de l'argent mis de côté, il acheta
des armes, recruta des mercenaires pour faciliter le rétablissement de la démocratie.
b. Le décret d'Archinos, ou l'ingratitude de la démocratie.
C'est en partie
grâce aux riches métèques que la démocratie à pu rétablir quelque mois plus tard,
sous l'impulsion des métèques du Pirée. Un démocrate propose alors de faire voter un
décret pour leur accorder la citoyenneté.
Cependant
la plus part des athéniens s'y opposent et l'auteur est accusé en justice. On préfère
la proposition d'Archinos :
récompenser seulement ceux des métèques qui s'étaient le plus distingués en leur
accordant certains privilèges : exemption du metoïkion, droit d'épouser une athénienne.
Ces droits
sont théoriques : en 403, fut remis en vigueur le décret de Périclès. La démocratie fut
particulièrement ingrate, mais Aristote déclare qu'Archinos a agit en bon citoyen puisque parmi les gens du Pirée qui avaient
renversés les tyrans se trouvaient des esclaves qui s'étaient fait passer pour des
métèques.
Texte établi à partir d'un cours de faculté suivi en 1998-9
Grands Mercis au professeur