CHAP 5... Les réformes de Clisthènes
La fin du règne des tyrans n'est pas suivie par une période de troubles révolutionnaires, ce en partie parce que les tyrans avaient respecté le système mis en place par Solon. Comme la tyrannie a mal fini, le peuple athénien, en 510, prend des mesures pour éviter un retour de la tyrannie. On remet en vigueur une ancienne loi qui déclare hors la loi quiconque tente d'établir un régime tyrannique. On procède aussi à une révision de la liste des citoyens, afin d'exclure des individus qui avaient profité de la tyrannie pour exercer les droits de citoyens. Ces personnes sont des mercenaires au service du tyran qui se sont installés avec leur famille en Attique. Ceux-là qui avaient pris pour habitude de siéger à l'assemblée et à l'Héliée n'étaient pas citoyens puisque non enregistrés dans une phratrie. On vote un décret interdisant la pratique de la torture pour les citoyens athéniens, ce qui signifie qu'elle avait été utilisée sous le règne des tyrans.
I] La difficile instauration d'un nouveau régime politique
1) La lutte des factions
Après l'expulsion des tyrans, Athènes reprend son cours normal avec les
inévitables luttes de factions qui mettent aux prises les aristocrates. Deux personnages
s'opposent : Clisthène et Isagoras. Clisthène appartient à la famille
des Alcméonides et avait été
archonte sous les pisistratides
avant de tomber en disgrâce. Il fut alors exilé et ne rentre à Athènes qu'en 511/0,
pour aider au renversement de la tyrannie. En tant qu'ancien archonte, il ne peut postuler
pour un nouvel archontat, il met en avant un membre de sa famille : Alcméon. Isagoras et Clisthène ne semblent
séparé que par leurs ambitions personnelles dans un premier temps, le résultat fut la
victoire d'Isagoras élu
archonte en 508-7.
C'est à la
suite de cet échec que Clisthène inaugure une nouvelle stratégie : il estime que ses compagnons
politiques (Hetaïroï)
n'ont pas été assez efficaces ; il décide de s'adresser aux gens de peuple pour en
faire ses hetaïroï. Clisthène souhaite influencer l'Assemblée pour contrer Isagoras. Clisthène décide de présenter
son programme directement devant l'Assemblée du peuple : il en définit les grandes
lignes en présentant la perspective d'un nouveau régime politique : l'isonomia (l'égale répartition des
pouvoirs entre le peuple et les aristocrates). Ce projet est accueilli avec enthousiasme :
l'année suivante l'archonte élu fut Alcméon.
Isagoras supporte mal ce revirement populaire et pour empêcher l'instauration de
ce nouveau régime qu'il juge révolutionnaire, il fait appel aux rois de Sparte.
2) L'intervention de Sparte
Isagoras fait
appel à Cléomène. Arrivé
devant Athènes avec son armée,
il exige l'exil des Alcméonides
et des familles qui le soutiennent. Ils acceptent cet exil provisoire ; cependant
Cléomène arrivant à Athènes prend des mesures qui provoquent un soulèvement populaire
: il donne tous les pouvoirs à un conseil restreint de 300 hommes choisis parmi les
partisans d'Isagoras. Cléomène
se trouve assiégé par les Athéniens sur l'Acropole ; il est obligé de quitter l'Attique et les exilés reviennent alors à
Athènes.
Mais Cléomène lance une seconde expédition ;
les Athéniens n'hésitent pas alors à se tourner vers les Perses : ils envoient une ambassade auprès du roi Darius. Les ambassadeurs revenant à Athènes, la situation est déjà rétablie.
La seconde
expédition de Sparte avec ses
alliés, notamment des Béotiens,
avait pour but d'établir Isagoras comme tyran, ce qui provoqua des divisions au sein même de la coalition
péloponnésienne. Profitant de cette division, les athéniens attaquèrent les alliés de
Sparte séparément et remportèrent notamment une éclatante victoire sur les Béotiens.
Ils font de nombreux prisonniers, rendus contre rançon et dont les chaînes furent
consacrées sur l'Acropole.
C'est
alors, tout danger extérieur écarté, que les réformes sont mises en place.
II] Le découpage de l'Attique
Dans les divers éléments
de la réforme de Clisthène se comprennent les uns par rapport aux autres. Clisthène avait constaté
que les quatre tribus ioniennes n'étaient plus adaptées à la vie politique du Ve siècle ; elles ne tenaient pas en compte des
tensions économiques et sociales qui s'étaient développées.
Clisthène
met donc au point un nouveau système fondé sur un découpage de l'Attique nouveau.
1) Les nouveaux cadres de la politique
a. les dèmes
L'appartenance
aux quatre tribus était fondée
sur les liens du sang, de sorte que chacune était dominée par de grandes familles de
propriétaires fonciers qui avaient un grand pouvoir au niveau local. De plus, elles
contrôlaient les phratries et
donc le droit d'accès à la citoyenneté. Elles accaparaient les charges ce qui donnaient
lieu à d'âpres compétitions qui ont en partie favorisées l'avènement de la tyrannie.
Clisthène veut donc briser cet ancien système. Il ne supprime cependant ni les
phratries, ni les clans aristocratiques auxquels ils laissent seulement des religieuses.
Désormais, la cellule politique de base est une entité locale : le dème.
Les dèmes
existaient déjà dans toute l'Attique sous forme de villages ou hameaux dispersés.
Désormais, avec Clisthène, ils forment des communes, entités administratives ; les
dèmes sont soit de gros villages soit des quartiers d'Athènes.
Désormais
on est citoyen quand on est inscrit dans un dème ; les athéniens appartenant à un même
dème sont des démotes et
élisent un représentant : le démarque. Chaque dème est aussi une entité religieuse avec ses propres cultes.
Après
Clisthène, l'appartenance à un dème devient héréditaire, indépendante du lieu de
résidence. Pendant deux siècles, le nombre de dèmes est constant : 139.
b. les trittyes
Elles sont
construites dans le même esprit que les dèmes. Elle regroupe chacune un certain nombre
de dèmes et elle représente un tiers des tribus.
On se
rappelle le rôle des regroupements régionaux dans les conflits qui ont favoriser la
tyrannie où s'opposaient ceux des collines, des plaines et de la côte. Clisthène comprend que cette partition
correspond à des intérêts divergents ; il faut donc en tenir compte pour assurer la
cohésion sociale. C'est pourquoi il coupe l'Attique en trois zones. L'une est celle de la ville : Asty. Elle déborde largement les murailles
d'Athènes : elle inclue les proches faubourgs et les deux ports. Les plaines de l'Attique
sont la Mesogeia (zone du
milieu). Les régions côtières forment la Paralia.
Dans
chacune de ces trois régions, un certain nombre de dèmes sont regroupés pour former une
trittyes, jusqu'à dix trittyes
par régions géographiques, soit trente pour l'Attique.
Le nombre
de dèmes ainsi regroupés est variable suivant la population de chaque dème ; un dème
très peu peuplé peut représenter une trittyes, au maximum neuf dèmes peuvent former une trittyes. Le dème le plus
important de chaque trittyes est son chef-lieu.
c. les tribus
Les tribus
créées par Clisthène sont au
nombre de dix, formée chacune par la réunion de trois trittyes, une de chaque région
géographique. Les trittyes
constitutive d'une tribu ont été tirées au sort. Les quatre tribus anciennes subsistent
mais uniquement avec des attributions religieuses. Chaque tribu reçoit un numéro et le nom d'un héros éponyme de l'Attique.
Clisthène fait approuver le choix de ces noms par l'oracle de Delphes.
Chaque
tribu est donc représentative de l'ensemble de l'Attique, ce qui réduit les disparités
régionales. Il devient difficile pour les aristocrates de dominer les nouvelles tribus.
Cette création donne les fondements du nouveau conseil de la Boulé.
2) Conséquence sur la composition de la Boulé
Elle remplace
le conseil des Quatre Cent de Solon. Désormais elle est composée de Cinq Cent membres : les bouleutes. Ils sont cinquante par tribus ; en
fonction de sa population, chaque dème peut présenter un certain nombre de candidats
calculé au prorata. La désignation se faisait au temps de Clisthène par l'élection,
ensuite par tirage à la fève. Ce système apporte une représentation cohérente de
l'ensemble de l'Attique à la Boulé.
L'age
minimum requis est de 30 ans, la durée du mandat d'un an renouvelable une fois mais pas
deux années de suite. Vraisemblablement, les citoyens de la dernière classe censitaire
étaient exclus de la Boulé ; par la suite, le renouvellement rapide des bouleutes à
rendu indispensable le recours aux thètes.
3) Analyse de la réforme
a. Le nouveau cadre politique
On a affaire à
un maintien du système institutionnel : le fonctionnement même des institutions est
conservé dans sa globalité, le pouvoir exécutif est toujours au mains de l'archonte éponyme. Les archontes sont au
nombre de neuf et leurs attributions restent inchangées. Les classes censitaires
instaurées par Solon sont
toujours en vigueur, excluant les plus pauvres de la gestion des charges.
Cependant,
ces réformes font apparaître une nouvelle conception de la politique : Clisthène donne plus de pouvoir à l'Assemblée en matière législative pour la
désignation des magistrats. En effet auparavant, des clans aristocratiques s'appuyant sur
les autres tribus et sur les phratries jouaient le rôle déterminant de par la pression qu'ils exerçaient sur
le peuple. Le fondement local de leur pouvoir fut miné par la création des dèmes, même s'ils conservent leur prestige
pour briguer les plus hautes charges.
Le but de Clisthène n'était cependant pas de remettre
tous les pouvoirs au peuple. Par sa reforme des tribus, elle permet à tous les citoyens
de participer à la gestion de la Cité. Le nouveau système permet un mélange des
citoyens, indépendamment de leur naissance et de leur fortune ; ce mélange à une
implication directe sur l'élection des magistrats, ces derniers ne pouvant plus s'appuyer
uniquement sur leurs proches et leurs amis ; ils doivent aussi persuader les citoyens
d'autres trittyes que la leur,
et tenir compte des intérêts de l'ensemble de la population.
b. Le régime de l'Isonomia et de l'iségoria
C'est ainsi que
se met en place le régime de l'isonomia. La réforme a des implications sur le plan législatif aussi :
Clisthène à peut être institué aussi l'égalité de parole : l'iségoria. Le principe permet à tout
citoyen d'émettre une proposition a l'Assemblée. Mais seuls les représentants des
familles du pouvoir avait la capacité de persuader le peuple.
Avec le
nouveau système, les aristocrates doivent soumettre leurs propositions au consentement de
la Boulé qui
représentent l'ensemble des dèmes de l'Attique, puis au vote de l'Assemblée. Assemblée et Boulé sont donc
des contrepoids aux magistrats. Le régime instaurer par Clisthène n'est donc ni une
démocratie, ni une oligarchie. Le peuple a un poids politique équivalent à celui des
magistrats : il s'agit donc d'une isonomie qui répartit également le pouvoir entre le
peuple et les aristocrates.
III] Les reformes annexes
1) Le conseil et l'assemblée
Clisthène fait prêter aux nouveaux bouleutes un
serment. On voit ensuite apparaître le système des prytanies. Comme le conseil doit souvent régler des affaires de routines, il
n'était pas nécessaire de réunir les 500 bouleutes. On prévoit donc que cinquante
bouleutes d'une tribu effectue une permanence suivant un ordre défini par le sort,
constituant ainsi un bureau exécutif de la Boulé.
Comme ils
assurent une permanence pendant un dixième de l'année, ils portent le titre de prytane. Ce système est à l'origine du
calendrier politique d'Athènes divisé en 10 sessions. Chaque jour les prytanes tirent au
sort un président : l'épistate
qui président les réunions de l'Assemblée ou du Conseil.
L'assemblée
reçoit plus de pouvoir. Clisthène exige qu'il y ait accord du peuple pour déclarer une guerre, infliger
une amende ou une condamnation à mort. Cela implique que la décision a d'abord été
prise par une première instance mais qu'elle doit être confirmée et validée par le
peuple. La déclaration de guerre est décidée par la Boulè, les deux autres de nature judiciaire sont prises par l'Aréopage pour les condamnations à mort.
2) La guerre
L'armée des
citoyens existe depuis le VIe au moins, mais on n'en connaît rien avant Clisthène. La logique de ses
réformes impose la répartition des citoyens en dix corps d'armée. C'est pourquoi
Clisthène crée une nouvelle fonction : les dix stratèges. Chaque stratège représente une tribu, mais l'élection à lieu devant
l'ensemble du peuple.
L'armée
est constituée de dix bataillons commandés chacun par un stratège à l'époque de
Clisthène. Les stratèges sont élus pour un an et leur mandat est indéfiniment
renouvelable, ce qui permet de profiter le plus longtemps possible des compétences
militaires de certains individus. Les stratèges deviennent ainsi rapidement plus
important que les archontes.
Aussi, la charge d'archonte va-t-elle progressivement décliner : en 487, on
remplace l'élection par le tirage au sort.
Le
commandement suprême de l'armée demeure encore pendant quelque temps aux mains de l'archonte polémarque, sa dernière
intervention étant à la bataille de Marathon en 490. Son rôle était de coordination quand les
stratèges étaient incapables de décider un plan de bataille.
Les
stratèges doivent posséder des enfants et des terres en Attique. Vu l'importance de leur
charge, ils appartenaient forcement aux pentacosimédimnes. Cependant, ils étaient choisis à l'Assemblée et égaux entre eux, ce
qui constitue un élément démocratique ou plus exactement isonomique, surtout par
rapport aux archontes hiérarchisés.
A l'époque
de Clisthène, l'armée n'est pas composée de tous les citoyens, puisqu'ils doivent payer
leur équipement d'hoplite, les thètes qui représentent les 2/3 du corps
civique étaient exclus de la participation à la guerre, ce qui réduisait leur poids
politique.
3) L'ostracisme
L'invention en
est attribuée à Clisthène,
même si la première application date de 488/7. L'intention de Clisthène
aurait été d'exiler de manière temporelle les individus qui représentent une menace
pour le régime par leurs excès de richesse ou de popularité.
Chaque
année, au cours de la sixième prytanie, l'Assemblée se prononce sur l'opportunité d'exiler ou non un homme politique. En cas
de vote positif, le peuple se réunit deux mois plus tard sur l'Agora, supervisé par les
archontes et la Boulé. Il faut un minimum de 6 000 votants qui écrivent sur un tesson de
poterie (Ostracos) le nom
de l'individu q'il souhaite exiler. L'individu ostracisé doit s'exiler dans les dix jours
pour dix ans, mais il conserve ses propriétés et ses qualités de citoyens. Le vote à
lieu une fois et ne peut toucher qu'une personne par an.
C'est un
bon moyen pour écarter de la scène politique un candidat à la tyrannie ou pratiquant
une politique jugée dangereuse pour la cité. La procédure aura lieu jusqu'en 417.
Elle est intéressante pour expliquer l'isonomie : elle n'a jamais été utilisée comme
punition pour trahison ou crime contre l'Etat, non plus pour la mise à l'écart d'un
rival. Elle était utilisée dans le cas de politique différente pour écarter la
politique que l'on refusait. C'est donc le peuple qui tranchait après que les
représentants aient exposé leur point de vue.
Pour
résorber la crise politico-sociale qui empêchait un fonctionnement normal des
institutions, Clisthène prend
du recul et impose un système abstrait et rationnel d'un découpage territorial. On a pu
parler d'une révolution décimale : la création des tribus au nombre de dix ainsi que des trittyes détermine désormais le recrutement des membres du conseil et se
concrétise par la création des dix stratèges. Personne avant n'avait poussé si loin le
désir d'équilibre et de simplification.
Clisthène
n'a pas créer une démocratie, il a juste permit sa mis en place au Ve. Il peut donc être considéré comme le
précurseur des grands athéniens.
Texte établi à partir d'un cours de faculté suivi en 1998-9
Grands Mercis au professeur