Retour de la Préhistoire en Sixième – quels objectifs politiques ?

En Septembre 2016 les sixièmes pratiqueront un nouveau programme.

On y retrouve la préhistoire qui fait son grand retour. Cela faisait longtemps que ce sujet avait été abandonné (depuis 13 ans que je suis prof, je n’ai jamais traité ce point). Les commentaires du programmes prévoient d’aborder trois axes d’enseignement :
1/  Établir des faits scientifiques avant la découverte par les élèves des récits religieux sur les origines du monde.
2/ Porter une réflexion sur l’histoire du peuplement du monde à partir de l’histoire des grandes migrations.
3/ Porter une interrogation sur l’intervention des femmes et des hommes sur leur environnement au Néolithique.

[saut]

L’influence des idées politiques.

L’enseignement de l’histoire a toujours été très lié aux idées politiques de son temps. Il faut comprendre ici “politique” comme les idées qui agitent la société et non pas comme des ordres venus d’en haut. Comme les précédents, ces programmes et leurs commentaires font échos à ce qui agite aujourd’hui notre monde.

C’est probablement un des rôle de l’histoire : vivre au présent en s’appuyant sur la connaissance du passé.

Derrière les mots du programme, on peut ainsi voir en filigrane des questions qui agitent notre société d’aujourd’hui.

[saut]

1/  Établir des faits scientifiques avant la découverte par les élèves des récits religieux sur les origines du monde.

evolution

Je vois dans cet objectif d’enseignement une réponse au développement du créationnisme et au regain religieux sous des formes extrémistes. On peut vite lire la phrase et entendre que les “faits scientifiques” doivent être érigés en gardiens contre des récits religieux erronés, mensongers ou trompeurs. Il va être difficile de ne pas créer un combat manichéen entre le bien (la vérité scientifique) et le mal (la vérité religieuse).

Pour éviter cet écueil, on peut rappeler que les “faits scientifiques” se trompent aussi et errent, car leurs interprétations scientifiques se modifient avec le temps. Eux aussi, comme les religions, sont en évolution permanente. L’étude de la préhistoire est intéressante à ce point : l’origine africaine de l’humanité ? La West Side Story ou l’East Side Story ? Les causes de la disparition de Neandertal ? La datation des plus anciens peuplements en Europe ? … Chaque année offre de nouvelles découvertes, de nouvelles interprétations qui modifient parfois de façon importante la “vérité scientifique” .

Par ailleurs, les récits mythiques et religieux sur l’origine du monde cherchent eux aussi à répondre à la question des origines. Ils y répondent par la mémoire des hommes, par leurs angoisses et leurs espoirs. C’est donc un témoignage culturel et psychologique de l’histoire de notre humanité. Ils ne s’appuient pas sur l’archéologie et la preuve incontestable des traces laissées par l’Homme, mais ces récits nous font rentrer dans les mentalités de nos ancêtres, dans leurs pensées et leurs réflexions. Ils sont donc un autre témoignage complémentaire de notre humanité.

Pour les croyants, ces récits permettent d’entrer en contact avec le Divin créateur. La problématique est alors de concilier, quand elles se contredisent, la vérité scientifique et la vérité divine : la plupart des textes fondateurs sont considérés comme directement écrits ou inspirés par le Divin et donc sujet à l’inerrance : l’impossibilité de se tromper. C’est alors toute la question de la lecture du texte : qu’est-ce qui est divin ? Est-ce l’esprit ou la lettre ?

Les grandes religions affirment l’inerrance de leurs textes fondateurs à cause de leur origine divine. Pour autant elles pratiquent l’analyse, l’interprétation et la critique de ces textes religieux. Si le texte est d’origine divine et donc infaillible, son écriture, sa lecture et sa compréhension reste humaine et sujet à égarement. Or les humains sont faillibles :

Et lorsque Nos versets leur sont récités, ils disent : “Nous avons écouté, certes! Si nous voulions, nous dirions pareil à cela, ce ne sont que des légendes d’anciens.”

Sourate VIII -31

Si le message divin est pur, sa transmission par les Hommes dépend de la qualité de la préservation du message d’origine. Dans la Sourate qui suit, le message divin est transmis par l’inspiration dans le cœur de l’Homme. Puis il est demandé à l’Homme de transmettre le message en “une langue arabe très claire“. Est-ce le Divin qui s’exprime en arabe où est-ce une recommandation à l’Homme de traduire le message inspiré dans sa langue maternelle de la façon la précise possible ?

Ce (Coran) ci, c’est le Seigneur de l’univers qui l’a fait descendre, et l’Esprit fidèle est descendu avec cela sur ton cœur, pour que tu sois du nombre des avertisseurs en une langue arabe très claire.

Sourate XXVI – 192

[saut]

Enfin, on peut reprendre ici les propos du Pape François devant l’Académie pontificale des Sciences en 2014 qui cherche à concilier le Divin et le récit de la Création de la Genèse avec les théories scientifiques de l’évolution et du Big Bang :

Quand nous lisons le récit de la Création dans la Genèse, a-t-il relevé, nous risquons de prendre Dieu pour un magicien, brandissant sa baguette magique. Mais ce n’est pas ainsi. Dieu a créé les êtres et Il les a laissés se développer selon les lois intérieures qu’Il leur avait données, pour qu’ils se développent et atteignent leur plénitude. Il leur a accordé l’autonomie tout en les assurant de sa présence constante. La création s’est ainsi poursuivie pendant des siècles et des millénaires pour devenir telle que nous la connaissons aujourd’hui. Dieu n’est pas un démiurge mais le Créateur qui confère le don de l’être à tous les éléments. Le Big-Bang, auquel on attribue aujourd’hui l’origine du monde, a poursuivi le Pape François, ne contredit pas l’intervention créatrice de Dieu, mais il l’exige. L’évolution de la nature n’est pas en contradiction avec la notion de Création ; elle suppose la création des êtres qui évoluent en elle. En ce qui concerne l’humanité, il y a un élément nouveau : Dieu lui a donné une autre autonomie, différente de celle de la nature : c’est la liberté.  Et il l’a rendue responsable de la Création.

[saut]

2/ Porter une réflexion sur l’histoire du peuplement du monde à partir de l’histoire des grandes migrations.

Quel peut être le but de cette première réflexion sur le peuplement humain ? Difficile de ne peut y voir un moyen de répondre, scientifiquement, à la question du racisme et de l’inégalité des races. La conclusion de l’histoire du peuplement du monde doit montrer qu’il n’existe aujourd’hui qu’une seule espèce d’hominidés : l’Homo Sapiens Sapiens. Et que celui ci s’est installé progressivement sur l’ensemble de la planète. Nous sommes donc tous frères !

[saut]

3/ Porter une interrogation sur l’intervention des femmes et des hommes sur leur environnement au Néolithique.

Pourquoi cette écriture “des femmes et des hommes” ? D’accord, je suis un homme et une femme ne recevra peut-être pas cette formulation de la même manière.

Je vois ici un lien politique avec la question de la place de la femme dans notre société et la question de l’égalité homme/femme. Mais faut-il entrer dans ces questions dans la société du Néolithique ? Apparemment il existe des bases scientifiques qui permettent une telle réflexion, comme les différences d’usure des dents (voir dans cet article)

Toujours est-il qu’ici le sujet n’est pas la société, mais l’intervention sur l’environnement… Faut-il chercher pour traiter ce thème à différencier l’intervention des femmes sur leur environnement par rapport à celle des hommes ? Cela me paraît très hasardeux. Alors cela veut dire que la formulation “des femmes et des hommes” n’a aucun autre rôle que de faire apparaître le mot femme dans une logique de  démagogie d’égalité des sexes (Je ne dis pas que traiter de l’égalité homme/femme soit démagogique ; je suis convaincu que cela est fondamental et nécessaire surtout à l’école. Mais vouloir la mettre à toutes les sauces même dans des situations où cela ne s’y prête pas, voila ce qui est démagogique.)

[saut]

On trouve un second élément politique dans cette question : celle de l’intervention humaine sur son environnement. Évidemment c’est en lien avec la question du développement durable, de la gestion des ressources et de la cohabitation entre les activités humaines et la nature. C’est un thème central de réflexions pour nos sociétés d’aujourd’hui ; les élèves en entendront parler chaque année autour de différentes matières et différents thèmes, dont pour ce qui nous concerne ici les sociétés néolithiques.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *