CHAP 1... Le monde romain en 133 : l'Italie et les provinces
Avant toutes choses, une présentation du cadre géographique dans lequel se situe l'histoire de cette République avec pour problématique la question : comment les régions sont entrées dans l'autorité romaine et comment sont-elles administrées ? On remarquera alors la diversité des cultures et des peuples ainsi que des degrés d'avancement dans la civilisation ; c'est à dire d'énormes disparités.
I] Les entités géographiques de Rome
1) Le Latium
Trois régions prédominantes : la première se
trouve dans le Latium,
entre le Tibre et les Monts Albin, première région conquise par
les romains. En réalité, c'est la première région où les romains ont créé une
alliance avec les peuples voisins : la ligue latine.
2) L'Etrurie
Au nord, de l'autre coté du Tibre : une
confédération de cités. C'est l'Etrurie qui entre progressivement dans l'autorité
romaine à partir de 395, avec la prise de Véies. Débarque ensuite en Italie le peuple
belliqueux des gaulois en 390-6, qui ont assiégé Rome. Les Etrusques seront définitivement intégrés
après la chute de Volsinies en 265.
Ce fut donc une uvre de longue haleine.
3) Campanie et Samnium
Au Sud, la Campanie. Plaine riche, dont la ville
principale est Capoue. Le Samnium plus au sud est habité par les Samnites. Les romains ont dû au cours des trois guerres Samnites de 343
à 290, contrôler et pacifier. Ils contrôlent alors toute l'Italie
centrale, en contrôlant les deux rivages.
Ce
territoire conquis par Rome est l'ager romanus. Ensuite, ils vont avoir la mainmise sur toute l'Etrurie jusqu'à l'Arno. Début IIIe
siècle, Rome fait la conquête de toute la botte italienne après
la guerre contre Pyrrhus,
qui s'achève par la prise de Tarente en 272.
La
domination de Rome sur l'Italie est considérée comme achevée en 265. Mais
elle est complexe avec la coexistence de différents statuts entre les habitants de la
péninsule : ceux de l'ager romanus, et ceux de l'ager
sociorum.
Les deux
guerres puniques vont faire sortir Rome de l'Italie : La première (264-241)
a permis de mettre la main sur la Sicile ; la seconde (218-202), le sud de l'Espagne (Andalousie). Elles ont aussi montré
la solidité des liens entre Romains et Italiens.
En 133,
l'administration de l'Italie est en place, Rome étend progressivement son expansion en
Gaule Cisalpine, Sicile et Sardaigne.
II] Les structures juridiques de l'Italie
Cette Italie présente deux
structures juridiques qu'il faut expliquer. Il y a deux territoires à distinguer : l'ager
romanus et l'ager sociorum.
1) L'ager
romanus
C'est l'ensemble des zones annexées à la ville de
Rome après leur conquête. Leurs habitants sont rattachés au corps civique romain.
Ce territoire a été divisé en 35 tribus, ce nombre étant atteint et maintenu définitif en 241av.
On doit distinguer 4 tribus urbaine (urbs, urbis, f) et 31 tribus rustiques (rus, ruris, n).
La tribu
correspond à un découpage géographique de Rome et de sa campagne environnante au fur et à mesure de la conquête.
Chaque nouveau citoyen est inscrit dans sa tribu par les censeurs. Après 241, on inscrit les gens indifféremment dans les
unes ou les autres. Les tribus servent aussi au cadre des comices
tributes.
A
l'intérieur de l'ager romanus on distingue deux types de cités :
a. Les municipes
Ce sont des cités annexées qui conservent parfois
leur autonomie administrative, mais qui sont administrées par un préfet qui dépend d'un préteur, magistrat romain. La collectivité
locale est organisée plus ou moins indépendamment.
Les
habitants jouissent d'un droit de cité complet ou sans suffrage (sine suffragio).
Tous les habitants dispose de l'essentiel des droits juridiques romains : droit de
mariage, droit de propriété, droit de vote, droit de concourir aux magistratures (ius
honorum). La tendance sera que les citoyens sine suffragio accèdent la
citoyenneté de plein droit : l'optimo jure.
b. Les colonies
En principe, elles n'existaient pas à l'origine.
Elles sont créées de toutes pièces, ex nihilo, par et avec des citoyens de Rome,
qui conservent donc tous leur droits. Ces cités ont été installées en des endroits
stratégiques : Ostie, Antium, Terracine, Minturnas
(Tyrrhénienne) et Pisaurum en
Adriatique.
2) L'ager sociorum
Le territoire des alliés correspond à un
territoire quatre fois plus vaste que l'ager romanus, avec des enclaves de celui-ci
comme Tibur ou encore Ancône.
Dans ce
territoire on distingue encore deux types de cités :
a. Les cités pérégrines
Peregrinus = étranger. A ce titre, ces cités
conservent leur propre administration mais elles reconnaissent la suprématie de Rome, chargée de les représenter et de les
défendre. En contrepartie, elles envoient des contingents militaires et des bateaux aux
romains quand ils en ont besoin. Ces contingents représentent plus de la moitié de
l'armée romaine. Les romains ont ainsi toujours 80 000 hommes qu'ils peuvent adjoindre à
leur armée. Ces contingents sont commandés par des chefs locaux ; l'ensemble des troupes
est sous le contrôle d'un praefectus sociorum, lui romain.
b. Les colonies latines
C'est un terme utilisé pour désigner une ligue de
trente cités au sud de Rome. Ors cette ligue a été dissoute par Rome en 338,
mais la plus part des peuples qui habitaient le Latium conservèrent le titre de latin.
Ces cités
sont habitées conjointement par des romains et des latins dans un seul objectif :
protéger le territoire conquis, contrôler les routes et s'opposer à un éventuel ennemi
infiltré dans la péninsule. C'est également une création ex nihilo.
Depuis le
IIIe siècle, les romains
ont multiplié ces colonies. En 190, sur 53 colonies fondées on compte 35
colonies latines. Ce type d'établissement est un moyen de romanisation.
La colonie latine est une cité autonome avec sa propre administration, ses
magistratures et ses institutions, néanmoins fortement recopiées sur celles de Rome. Sur le plan du droit civil, ils
jouissent des droits de mariage, propriété, de résider à Rome et donc de postuler à l'optimo iure.
Mais avant
tout, ils ont des devoirs à l'égard de Rome, notamment celui de fournir des contingents
militaires et de participer financièrement à l'effort de guerre.
Le
peuplement de ces colonies latines est fait par et avec des citoyens de Rome. C'est une
manière de dégraisser l'Urbs des citoyens pauvres, les prolétari, qui acquièrent ainsi des terres. Ce sont des pions de Rome pour la
romanisation, ils représentent 1/6 des forces de Rome.
Une
évolution sensible : les latins obtiennent la citoyenneté romaine optimo iure à partir du moment où
ils ont exercé une magistrature dans leur cité.
Il ne faut
pas croire que les relations entre romains, latins et alliés sont harmonieuses. Pendant
toute la période, on est confronté à des problèmes intenses.
III] Statut et histoire des provinces
A/ Les provinces de la République
1) Le bassin
occidental de la Méditerranée
a. La péninsule ibérique
C'est un monde complexe. Le sud a reçut une forte
influence sémite (phénicienne et punique). Donc influence de Carthage.
On peut
estimer qu'en 197, les romains contrôlent toute l'Espagne orientale mais
pas le nord-ouest. Le pays est divisé en deux provinces : l'hispania
citerior, au plus près de Rome avec pour capitale Tarraco, et l'hispania
ulterior, au-delà de Rome, avec pour capitale Cordoue.
On observe
au IIe siècle, une progression des romains vers
l'intérieur et notamment au nord-ouest. En 133 ils s'emparent de la
capitale des Celtibères
: Numance. Entre 154-137,
commence à se mettre en place la future Lusitania.
b. Afrique, Sardaigne et Corse
Carthage a été détruite en 146av, à la fin de la Troisième
Guerre Punique ; la capitale de la nouvelle province d'Afrique est la ville d'Utique.
De même,
la Sardaigne, la Sicile et la Corse sont acquises en 227, après la
Deuxième Guerre Punique.
c. La Gaule cisalpine
C'est la plaine
du Pô, entrée dans l'empire en 222-191.
d. L'Illyrie
Les romains mettront du temps à la contrôler : de
167 à 45.
2) Le bassin
oriental de la Méditerranée
a. Macédoine et Achaïe
La création de la province de Macédoine date de 148-6 et
celle d'Achaïe de 146.
b. L'Asie
En 133, le roi de Pergame, Attale
III, cède par testament son royaume aux Romains. Cette
province d'Asie ne sera crée qu'en 129.
On notera
inévitablement la grande diversité des régions, diversité à cause des distances
géographiques et sur les plans culturels et économiques.
B/ L'administration des provinces
Le terme de province, est
un terme romain, qui désignait le théâtre d'opération confié à un chef d'armée. Il
a servi à la suite à désigner ce même théâtre d'opération après sa conquête.
Quel est le statut d'une province ? Elle est déterminée par la loi du
général victorieux de la province. La loi a été donnée, c'est donc une lex data. Cette loi peut être
complétée par les édits des gouverneurs quand ils entrent en charge.
A partir du
moment ou le sol de la province et ses habitants sont passés sous contrôle romain, Rome peut en disposer comme elle veut. Mais
en réalité, les villes de provinces conservent une certaine autonomie : le grand
principe de la politique de Rome est d'éviter l'uniformisation. Rome tiendra toujours
compte des particularismes, et elle a multiplié les catégories pour opposer les
intérêts afin de mieux dominer.
Les
provinciaux demeurent des pérégrins.
1) Les statuts des cités de provinces
a. Les villes fédérées
Les villes libres, ou fédérées (foederatae)
sont liées à Rome par un foedus, traité de fiction juridique qui permet aux cités d'être dispensées
de toutes charges financières. C'est un statut très favorable.
b. Les villes sujettes
Les villes sujettes sont contraintes de verser à
Rome un tribut, sous forme d'une dîme decumanae (tribut en nature), ou bien stipendiaire (tribut en argent). C'est un statut défavorable ; souvent, leurs lois
ont été données par le gouverneur. C'est la lex
civitatis.
2) Les formes de gouvernement
La province est confiée à un magistrat romain ou
à un promagistrat. C'est à dire un magistrat qui a un pouvoir en dehors du territoire
romain. Ce sont soit des magistrats en fonction, soit des magistrats en sortie de charge ;
aussi, des magistrats dont on proroge les pouvoirs.
Une promagistrature n'est pas annuelle : sa durée est fixée par un senatus consulte (un décret du
sénat). On distingue
Le proconsul : ancien consul prorogé
Les propréteurs : ancien préteur
Les proquesteurs : compétences financières.
Ces
différences sont établies par la lex Claudia en 81. Les premiers préteurs datent de 227,
ceux de Sicile et Corse-Sardaigne. En Espagne, en Afrique, on envoie un préteur ou un propréteur, et à partir des années 81,
un proconsul.
Les romains
ont mis du temps pour constituer les royaumes en provinces. C'est le cas pour la Macédoine, l'Achaïe, l'Illyrie et la
province d'Asie.
3) Le gouverneur de province
La charge de gouverneur est annuelle, non
rémunérée, mais c'est une charge extrêmement lucrative : on vit sur le pays. Le
gouverneur peut éventuellement être poursuivit pour concussions ou pots de vin : les
provinciaux pouvaient porter plainte devant le sénat. En 149, la lex calpurnia, sur la récupération
de biens, créa une juridiction spéciale pour juger les abus des gouverneurs. En théorie
l'objectif est de rendre au pays l'argent injustement acquis par le gouverneur, mais il
faut bien dire que ça marche rarement !
C/ L'exploitation des provinces
Elle est inégale selon le
prestige et l'ancienneté des provinces.
Le sol provincial appartient au peuple romain. c'est l'ager publicus. Les romains le
laissent en général aux anciens maîtres. Cependant, les pérégrins qui habitent les
provinces doivent l'impôt foncier : le tributum. Et le tributum est une ressource principale de l'Etat romain. Ors
verser tribut à Rome, c'est reconnaître la domination de l'Urbs.
Ce tribut
est un stipendium et il est du en argent, sauf pour deux provinces qui versent une
dîme (Sicile et Asie).
A ce
tribut, il faut ajouter les redevances et taxes multiples : les vectigalia. Ces redevances font que
les provinciaux payent deux fois. On ajoute encore les réquisitions imposées en cas de
nécessité.
2) Le poids des charges
On reconnaît aujourd'hui que le poids de ces
charges aurait été supportable, s'il n'y avait pas eut les abus des gouverneurs et des publicains, ces gens à qui on afferme la
collecte des tribus et dîmes.
Pour les
gouverneurs, la tentation est grande de profiter de leur imperium pour refaire leur fortune. Pour exemples : Verrès en Sicile (70av), Fontenius en Gaule méridionale (70av).
Pour les
publicains, ce sont des fonctionnaires chargés de l'adjudication des travaux publics et
de la perception des impôts. Ils font l'avance à l'Etat des fonds calculés par année,
et ils recouvrent sur la province, ce qu'ils ont avancé. Et ils ont bien évidemment la
tentation de demander plus. Ces personnes apparaissent au IIIe
siècle.
Ils sont organisés, et se constituent en société par action, avec un
personnel de scribes et questeurs. Ce sont de véritables puissances
financières qui ont des liens étroits avec les chevaliers. Ors depuis 218,
les sénateurs n'ont pas le droit de pratiquer des activités commerciales, ce qui les
défavorise dans la course à la fortune.
Les
publicains ont obtenu entre autre l'affermage de la dîme en Asie, la province la plus riche. Vers 62, elle rapporte 40
millions de sesterces.
3) L'exploitation économique
Les régions fournissent à Rome des compléments importants. On prend
des produits agricoles en Sicile, Afrique et Asie (vin,
céréales). Des produits miniers
en Espagne et Macédoine. Les produits
de luxe en provenance de l'Orient.
Toutes ces
productions n'arrivent pas librement ; les negociatores romano-italiens et les
publicains s'enrichiront là encore.
4) Diversité de culture et de richesse des provinces
Rome va rencontrer au cours de ses conquêtes des
cultures variées avec lesquels il faut composer. La culture grecque en Orient certes,
mais aussi le morcellement des civilisations en Occident : Sicile avec une civilisation siculo-grecque, Carthage punico-ibérique et l'Afrique monde punique. Voici quelques
exemples :
a. La Sicile
C'est la première province romaine, et elle va
servir de banc d'essai. Au lendemain de la conquête, les romains ont nommé questeur classicus. C'est seulement en 227,
qu'est nommé le premier praetor.
La Sicile subit une nouvelle réorganisation en 210
: on remet en culture les terres après le départ des carthaginois. Dans la province on
crée, 3 cités fédérées, 5 cités immunes et 57 cités stipendiaires. Chaque cité se
gouverne de façon autonome, battant monnaie et déterminant de la part de dîme qu'elle
verse à Rome.
Cette
réorganisation permet à la Sicile de connaître une paix profonde et une bonne
administration. C'est pendant cette période, que la Sicile devint le premier fournisseur
en blé de Rome. Cela s'explique car les romains ont conservé le système de la dîme qui
prévalait dans le précédent royaume de Hiéron II.
Entre 135
et 132, la Sicile
connut de graves troubles à cause d'une guerre servile. Elle entraîne des ravages. La
situation est rétablie par le Consul Valerius Rupilus qui imposa une nouvelle loi : la lex
Rupilia. On a alors une main mise accrue de Rome sur la
Sicile, avec l'arrivé d'Italien et de Romains qui s'installent sur de grands domaines.
b. L'Espagne
C'est une région de peuplement complexe. Les
peuples ibériques se sont mêlés aux envahisseurs celtes aisément. Ces populations sont
déjà organisées politiquement sous l'influence des grecs et des puniques.
Il est difficile de connaître l'histoire de ces populations de par l'absence
de sources. La conquête du sud a été faite par Hamilcar
Barca en 241. L'installation est aisée avec la
fondation de Carthago Nova.
Les
carthaginois l'exploitent pour deux richesses : les mines d'or, d'argent et de cuivre,
ainsi que l'élevage des chevaux, et pour les mercenaires. Cette région devient romaine
fin IIIe.
Il y aurait toujours deux légions permanentes avec des auxiliaires, ayant
pour objectif : maintenir l'ordre pour exploiter les richesses des territoires
nouvellement acquis. Mais il y a sans arrêt des soulèvements contre Rome jusqu'à la
prise de Numance.
C'est
seulement après 133, qu'on peut commencer à parler de romanisation, avec
l'envoi des colons romano-italien. Ils se mêlent alors avec les populations locales
c. L'Afrique
En 146, Carthage est vaincu par Scipion Emilien. La ville est détruite et le
territoire de Carthage transformé en province romaine. Elle est administrée par un
préteur ou un propréteur, ayant à sa disposition quelques troupes. Ils ont tracé un
fossé : le fossa regia,
entre la province et la Numidie
pour montrer leur volonté de ne pas conquérir le royaume numide.
On y
retrouve sept villes libres (dont Utique et Hadrumète)
; le reste du territoire est transformé en ager publicus. Ce territoire sera
cadastré pour une exploitation rationalisé.
Rome ne
s'est guère intéressé à l'Afrique. Le seul intérêt étant la valeur stratégique de
la position, avec le contrôle du détroit. Pourtant, c'est un pays riche.
d. L'Orient méditerranéen
Leur originalité est leur supériorité. Sur le
plan culturel est artistique, c'est indéniablement un monde supérieur, et de loin, à
celui de Rome. Cette supériorité de civilisation, Rome va la subir : l'hellénisme
triomphe à Rome vers 160. C'est la famille des Scipions qui en est responsable est notamment
Scipion Emilien. La langue
grecque s'impose ; L'Iliade et l'Odyssée sont livres de chevet.
Mais cette
diffusion ne se fait qu'au niveau des élites.
Le IIe siècle marque, du fait
des conquêtes, l'ouverture de Rome sur monde méditerranéen ; l'horizon de Rome
s'élargit avec pour conséquence, la mise en branle des structures politiques, sociales,
économiques et culturelles : Rome n'a pas la faculté d'adaptation rapide qui s'impose.
Voilà pourquoi Rome croit dans une crise de croissance, toile de fond de
toute la période.
Texte établi à partir d'un cours de faculté
suivi en 1998-9
Grands Mercis au professeur
Mise à jour du : 13/07/99