CHAP 11... L'organisation judiciaire d'Athènes
En Grèce ancienne, on se limite à la distinction entre les procès de droit commun et de droit privé. La juridiction est répartie entre plusieurs tribunaux. Les procès en droit commun sont marqués par l'archaïsme et établissent une stricte séparation entre les hommes libres et les non-libres. Les procès politiques ne concerne que les citoyens ; leur organisation est progressivement unifiée.
I] Crime et châtiment
A/ Tribunaux compétents pour les affaires de sang
C'est parce que le crime
implique une souillure de la communauté qu'on voit se maintenir à l'époque classique
des traits archaïques pour le traitement des affaires criminelles. Plusieurs institutions
judiciaires sont mises en place :
1) Le conseil de
l'Aréopage
C'est un conseil restreint qui regroupe tous les
anciens archontes. Au IVe siècle, il devait comprendre 150 personnes. Ce
tribunal était compétent pour les affaires de meurtres prémédités, ou de violences
commises dans l'intention de donner la mort.
2) Les Ephètes.
Ce sont 51 jurés tirés au sort. Ils sont amenés
à siéger dans trois tribunaux criminels.
a. Le Palladion
Il est compétent pour les cas d'homicides
involontaires, d'incitations au meurtre sur la personne d'un citoyen, ou bien de meurtres
d'un métèque, d'un étranger ou d'un esclave.
b. Le Delphidion
Il est compétent pour les affaires d'homicides
légitimes ou excusables. Ce dernier cas concerne, par exemple, le fait de tuer par erreur
un de ses concitoyens sur le front. Le meurtre légitime consiste pour un athénien à
tuer l'amant de sa femme pris en flagrant délit.
c. Le Phreattys
Situé au bord de la mer, ce tribunal concerne les
personnes exilées pour crime involontaire et qui ont récidivées. Elles présentent leur
défense sur une barque : la souillure qu'ils ont contractée leur interdit de fouler le
sol de l'Attique.
6) L'archonte
roi
Il est assisté par les rois des tribus. Il est
compétent pour les affaire de sacrilèges et de crimes d'impiété. Il peut condamner un
meurtrier non connu ou bien un animal, ou encore un objet responsable de mort d'homme.
B/ L'action judiciaire en cas de meurtre
La multiplicité des tribunaux
devait nuire à l'efficacité de la justice ; dans certains cas, elles étaient
expéditive, dans d'autres, elles se trouvaient entravée par toutes sortes de pratiques.
En effet, parfois des magistrats spécifiques avaient le droit de faire exécuter sans
jugement (c'est le cas des voleurs pris en flagrant délit), mais par ailleurs il n'était
pas toujours possible d'intenter une action pour meurtre : il peut rester impuni si
personne en tant que personne privée ne réclame justice, ou bien encore si la victime
avait accordé son pardon au meurtrier avant de mourir.
L'initiative de la poursuite en revenait donc aux plus proches parents, et
encore la loi prévoyait-elle que l'affaire pouvait être réglée par un arrangement
financier. Si une action judiciaire est finalement décidée, les parents se rendent sur
le lieu de sépulture et y plantent une lance pour réclamer vengeance ; l'accusé est
exclu par l'archonte roi de l'accès à l'Agora et aux temples : jusqu'au jour du procès,
il est considéré comme souillé.
Le jour du procès, on écoute les deux parties qui doivent se prononcer sur
la culpabilité. En cas de partage égal des voix, le doute est favorable à l'accusé qui
bénéficie du suffrage d'Athéna. Dans ces cas, l'accusé doit exécuter des sacrifices
expiatoires avant d'être réintégré au sein de la communauté civique.
C/ La législation pénale
1) Une relative souplesse
La justice archaïque est marquée par une relative
souplesse : le principe fondateur de cette justice : le châtiment doit être exemplaire
et contribuer à corriger le malfaiteur. En cas de récidive, les peines se cumulent, et
inversement il existe des circonstances atténuantes : passion,
Le mari qui tue
l'amant de sa femme est acquitté s'il peut prouver que le crime n'a pas été
prémédité.
On distingue trois types de peines :
Pécuniaires : ce sont les
plus fréquentes ; elles vont de la simple amende à la confiscation des biens.
Afflictives : elles vont du simple châtiment corporel jusqu'à l'exécution.
Infamantes
: elles concernent seulement les citoyens ; il s'agit des dégradations civiques.
Ces peines
peuvent être associée pour les délits graves comme les sacrilèges, les trahisons ou
les corruption. Le châtiment varie en intensité et en nature suivant le statut de
l'individu. En effet, en l'absence d'un code pénal, le système athénien présente
l'originalité de l'estimation des peines.
2) L'estimation des peines
Dans certaines affaires, on distingue des procès
avec ou sans estimation de peines. Sans estimation, il concerne une affaire pour laquelle
la peine encourue est fixée par la loi ; son application est alors automatique, on peut
néanmoins y ajouter une peine en plus.
Avec estimation, on évalue l'importance de la peine, afflictive ou
pécuniaire. L'accusateur propose une estimation à laquelle l'accusé répond par une
autre estimation. Les membres du jury doivent ensuite se prononcer par vote en faveur de
l'une ou l'autre des estimation, sans pouvoir trancher en un juste milieu.
Ce système est ainsi souple, puisqu'il permet à l'accusé raisonnable
d'obtenir un allègement de la peine proposée. Ex : Socrate en 399 est accusé
d'impiété, qui est alors assimilée à un sacrilège. Son accusateur propose la peine de
mort ; Socrate en contre
estimation propose d'obtenir la récompense suprême : être entretenu à vie au Prytanée !
D/ Les peines afflictives
1) La peine
capitale
a. Les conditions d'application
La législation athénienne en matière de meurtre
date du Ve siècle, et est due au législateur Dracon. L'homicide, même prémédité,
n'était pas toujours suivi de la peine capitale ; parfois l'exil seulement si la victime
est un étranger ou un esclave.
Inversement,
les Onze, tirés au sort et assistés du bourreau public, peuvent exécuter sans jugement
un voleur pris en flagrant délit. Néanmoins, on dénote entre les périodes archaïques
et classiques une évolution : l'affirmation de la responsabilité individuelle.
b. L'affirmation de la responsabilité individuelle
Pendant la période archaïque, la condamnation à
mort d'un individu s'appliquait aussi aux membres de sa famille. C'est le principe de la
responsabilité collective. L'un des moyens alors employé était la lapidation. Il s'agit
là d'une procédure expéditive, sans procès, qui fut appliquée pour la dernière fois
en 480 à Salamine où s'étaient réfugiés les autorités athéniennes : un bouleute
s'était montré favorable aux propositions d'un envoyé du général perse en Attique. Il est considéré comme responsable
de trahison ; les Athéniens le lapident, puis les femmes se précipitent vers son
domicile pour lapider femmes et enfants
L'évolution
de la démocratie amène à un renoncement progressif à ce principe. Pour l'époque
classique, les modalités de l'application de la peine de mort sont toutes autre.
c. L'application de la peine de mort
L'exécution prend plusieurs formes, suivant
l'individu et la nature de sa faute. Pour les esclaves, on pratique une sorte de
crucifixion, hors de la ville : on attache le supplicié à nu sur un poteau par cinq
crampons. La mort s'en suit au bout de quelques jours. Ce supplice a été pratiqué
jusqu'à la fin du IVe siècle.
Moins violente, la précipitation dans un gouffre est appliquée pour les cas
de sacrilèges et de trahison. Il faut encore ajouter une originalité : on permet à un
citoyen de mourir de façon honorable en transformant sa mort en suicide : il boit la
ciguë (v. Socrate).
2) Les peines de prison
Par respect pour la liberté du citoyen, on ne lui
inflige pas de peine de prison ; par contre, elles étaient pratiquées pour les
condamnés qui tardaient à payer l'amende et plus rarement pour un prévenu ou un
condamné à mort en attente de sa condamnation. Ex : Socrate est resté en prison pour des raisons
religieuses : on ne pouvait l'exécuter avant le retour de la trière qui avait conduit à
Délos les membres d'une
délégation sacrée.
Pour ne pas
attenter à cette liberté, on multiplie les peines pécuniaires, mais certains imagine
l'instauration de peines de prison en s'inspirant des sophistes qui au Ve siècle ont mis en cause le principe de la
peine de mort. Ces questions sont évoquées dans Platon, Protagoras, qui affirme que l'efficacité de la peine de
mort en matière de dissuasion est fort discutable, et qu'il vaut mieux pratiquer des
mesures préventives : il faudrait punir en prévention de l'avenir et non en
considération du passé (? , faudrait-il donc condamner les gens avant qu'ils aient
commis un crime !) Platon,
dans sa cité idéale évoquée dans Les lois, envisage la création de
trois types de prison, suivant la gravité des cas. Elles seraient considérées comme des
centres de rééducation dans l'idée que personne n'est méchant fondamentalement. Dans
la 3eme prison
(hiérarchiquement parlant), on enfermerait les gens pour cinq ans pour impiétés.
Ces programmes n'ont bien évidemment jamais été appliqués, mais leurs
existence prouve l'intérêt portée à une réflexion sur la peine de mort.
II] L'assemblée judiciaire (Héliée)
Il s'agit d'une instance
politique et démocratique. Il peut paraître étonnant de considérer un tribunal comme
un organe politique puisque nous considérons aujourd'hui comme indispensable l'existence
d'un pouvoir judiciaire indépendant du pouvoir politique.
Dans l'Antiquité, cette distinction n'existe pas : la plus part des affaires
viles sont jugées par des magistrats. L'Héliée exerce un contrôle illimité sur l'Ecclésia, la Boulè, les
magistrats et d'une manière générale sur tous ceux qui dirigent les affaires de la
cité.
Ce n'est
pas un hasard si elle ne se rencontre uniquement dans un régime démocratique : d'après Aristote, Politique :le
citoyen d'une démocratie est définit par sa participation à l'Assemblée et son droit
d'être membre d'un jury. Le fonctionnement même du tribunal populaire est inspiré par
le souci de la démocratie. Il n'existe donc pas de professionnels de la justice ; la
présidence des différents jurys est confié à des magistrats nommés pour un an.
A/ Les jurés
1) Les modalités de désignation
De même que pour les bouleutes, les héliastes
doivent être âgés d'au moins 30 ans ; il s'agit en effet d'éviter les excès dus à
une trop grande jeunesse et d'assurer un certain sérieux.
De même que pour les réunions importantes de l'Assemblée, les héliastes, tirés au sort chaque année,
doivent être au total 6 000. Il existe ainsi parallélisme entre l'Ecclésia, assemblée politique et Héliée, assemblée judiciaire. Chaque
membre de l'Héliée, assemblée judiciaire. Chaque membre de l'Héliée reçoit ensuite
une plaque d'identification portant son nom complet, indispensable pour exercer son
activité. Plusieurs de ces plaques ont été retrouvées dans les tombes, ce qui prouve
la fierté qui leur est lié.
2) Les obligations des héliastes
La nomination d'un citoyen devient définitive
quand il prête serment. Celui-ci l'engage à respecter les lois et décrets, à juger en
toute conscience après avoir écouté les deux parties. Il est sacré : on prend à
témoin Zeus, Apollon et Déméter.
Assurément,
le vote était secret, cependant, la portée morale du serment est si grande qu'on
estimait le verdict le l'Héliée
supérieur à une décision de l'Ecclésia.
Les
héliastes sont alors tenus de se présenter tous les jours pendant lesquels siège le
tribunal. En excluant les fêtes, on aboutit à 200 jours ouvrables. Suivant l'importance
et le nombre des affaires, il n'arrive que très rarement que les 6 000 jurés siègent en
même temps.
Ils sont
répartis en plusieurs jurys par tirage au sort, ces derniers étant eux-mêmes réparti
par tirage au sort également entre les différents magistrats, cela pour éviter la
corruption.
Pour les
petites affaires, on réunit des tribunaux de 201 personnes ; pour les affaires
importantes, 501 ou 2501 jurés. En moyenne, chaque jours siègent trois ou quatre jurys
simultanément.
La journée
judiciaire est longue : en moyenne 9 heures. C'est le temps requis pour juger une grosse
affaire : 3 heures de paroles pour l'accusateur, 3 heures pour les défenseurs, le reste
se répartissant entre sélection des jurés, discours sur les chefs d'accusation et sur
la fixations de la peine ainsi que le vote. Les affaires les moins importantes durent
moins d'une heure, soit une dizaine par jour. C'est donc une charge importante.
3) Salaire et condition des héliastes
Il n'est pas étonnant alors qu'apparaisse
l'institution du misthos heliastikos, le premier misthos dont l'initiative reviendrait à Périclès. Ors le paiement des jurés est une caractéristique de la démocratie
radicale, dont Athènes est le
modèle. D'abord fixé à 2 oboles, il passe à 3 oboles à la fin du IIIe siècle. Il s'agit d'une petite indemnité qui
permet toutefois de se nourrir. C'est en effet beaucoup moins pour un journée complète
que l'indemnisation de participation à l'Ecclésia dont les séances durent une demi journée.
Ainsi, tous
ceux qui avaient un métier n'avait pas intérêt à être candidats. Une bonne partie des
héliastes était donc des chômeurs, des invalides et des vieillards. Ce système de l'Héliée présente donc évidemment de
graves lacunes.
B/ Les lacunes du système judiciaire
1) L'absence de ministère public
Il n'y a pas de professionnel de la justice, ainsi,
le fait qu'un décret soit soupçonné d'illégalité n'est pas suffisant pour qu'il y ait
procès. Il faut qu'un citoyen prenne l'initiative de déposer la plainte : il implique un
investissement personnel des citoyens
2) L'absence
d'avocats
Le citoyen accusé ne peut pas se faire
représenter par un orateur ; il peut cependant partager son temps de parole avec un ami
ou un parent : le synegore. Au IVe siècle,
on peut payer quelqu'un pour rédiger des discours et donner des conseils. Ce sont soit
des métèques, soit des citoyens. Ce sont des logographes.
Cette
profession est assez peu considérée car en contradiction avec le principe de la pleine
responsabilité du citoyen.
3) Les sycophantes
Ce sont des dénonciateurs professionnels.
Normalement, le civisme à Athènes est considéré comme une vertu largement partagée et
on incitait les citoyens à dénoncer. Le civisme se prolonge par la délation.
Dans certains procès, il arrive que l'accusateur touche une partie de
l'amende de l'accusé. Ainsi, apparaissent dès le Ve siècle des individus
scrupuleux qui faisaient profession de la délation. Suffisamment habiles, ils gagnaient
de l'argent par simple menace et chantage.
C/ Déroulement du procès
1) Les plaidoiries
Les jurés une fois tirés au sort, le procès
commence après lecture de l'acte d'accusation. Pour les affaires importantes, plaignants
et accusés se voit accordés chacun 3 heures de parole. Celui-ci est donné par une
clepsydre.
Pour faire valoir son droit, l'accusé est censé citer des lois, ce qui
implique la consultation des archives publiques. On faisait aussi appel à des témoins,
obligations de tout libre. Quant au témoignage d'un esclave, il n'était valable que sous
la torture ; les femmes ne peuvent entrer au tribunal, alors, elles fournissent des
informations écrites.
Une décision rendue dans une autre affaire ne fait pas jurisprudence.
2) Le verdict
Il n'y a pas de délibération avant le vote ; les
membres du jury ne doivent pas communiquer. Les bulletins sont des disques de bronze
percés d'une tige, creuse pour la condamnation, et plein pour l'acquittement. On
déposait dans une urne en bronze celui de son choix, dans une urne en bois pour l'autre.
Il ne pouvait y avoir égalité, mais l'abstention d'un juge peut arriver à cette
situation ; alors, le doute prime.
Ce n'est qu'au terme du vote que l'héliaste reçoit son misthos.
D/ Les procès politiques
On ne distingue qu'action privée et action publique. Les actions privées
concernent les atteintes portée à une personne privée ; les actions publiques
concernent les atteintes à la cité. C'est donc parmi les publiques qu'ont lieu les
procès politiques. De plus, c'est toujours contre des personnes nommées et non contre
une institutions que sont organisés les procès.
1) L'accusation
en illégalité (graphé para nomôn)
N'importe quel citoyen peut entamer une telle
action, il suffit de jurer par serment qu'un décret est contraire à l'esprit de la
constitution. Pour un décret proposé, le débat est ajourné ; dans le second cas, le
décret est suspendu. L'accusateur doit ensuite rédiger un rapport qu'il transmet aux six
thesmothètes. Dès à
présent, s'il abandonne sa poursuite, il est passible d'une forte amende.
Un décret
non constitutionnel se caractérise soit par des vices de forme (un citoyen qui le propose
alors qu'il est sous condamnation) ou encore pour son caractère inopportun voir nuisible.
2) L'eisangelie ("dénonciation")
Il est possible d'introduire un acte en
dénonciation pour corruption ou trahison devant l'Assemblée ou la Boulè.
Le dénonciateur présente un projet de décret de mise en accusation. Il est tenu de
poursuivre son accusation sous peine d'amende. Le magistrat mis en accusation n'étant pas
détenu, il prenait souvent la fuite.
Après
l'instruction, l'assemblée se prononce elle-même jusque vers le IVe siècle. Le jury compétent nomme entre 501 et
2501 jurés. En cas de condamnation, on décide la peine de mort, rarement une amende.
De très nombreux de ces procès ont été fait à l'encontre des stratèges.
Voir l'affaire qui prend suite à la bataille des îles
d'Arginuses (406) ; bataille navale qui voit la
victoire athénienne. Mais juste après à lieu une tempête qui ravage la flotte. On
accuse alors les stratèges de ne pas avoir repêché les naufragés. Huit sur dix furent
exécutés. On considère que sur les dix stratèges élus chaque année, deux avait des
chances d'être l'objet d'une poursuite en dénonciation.
Athènes
est la cité des procès. On a jugé plus de procès dans la seule cité d'Athènes que dans le reste de la Grèce :
la souveraineté judiciaire est un prolongement de la souveraineté politique du citoyen.
Les citoyens y sont donc fort impliqués.
La
démocratie se radicalise au IVe, c'est ce siècle qui fournit les plus nombreux textes juridique. Enfin, la
multiplication des procès pose le problème de la compétence et de la connaissance des
lois par tous. De plus, la composition sociologique de l'Héliée laisse des doutes sur
l'objectivité des jurés. On se prémunit par tirage au sort de la corruption, mais
l'absence de la séparation entre politique et justice est préjudiciable à la justice.
Texte établi à partir d'un cours de faculté suivi en 1998-9
Grands Mercis au professeur