Portrait politique de Phocion

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   II voyait que les citoyens qui dirigeaient les affaires publiques s'étaient partagé, comme par tirage au sort, la conduite des armées et la tribune de l'Assemblée, les uns – Eubule, Aristophon, Dèmosthène, Lycurgue et Hypéride – se bornant à parler au peuple et à rédiger des décrets, tandis que les autres – Diopéithès, Ménesthée, Léosthénès et Charès – s'illustraient par les commandements et par la guerre ; il voulut, lui, reprendre et restaurer l'héritage de Périclès, Aristide et Solon, dont l'action formait un tout et réunissait harmonieusement les deux aspects, politique et militaire. Et de fait, chacun de ces trois hommes paraissait, suivant l'expression d'Archiloque, être
      "à la fois serviteur du dieu Enyalios
      et comblé du charmant privilège des Muses",
et il constatait que la déesse est également guerrière et politique, et qu'elle porte ces deux appellations. S'étant fixé cette ligne de conduite, il menait toujours sa politique en vue de la paix et de la tranquillité. Néanmoins, il fut plus souvent stratège qu'aucun de ses contemporains, et même de ses devanciers, et cela sans demander ni briguer le commandement, mais aussi sans le fuir ni s'y dérober quand la ville l'appelait. Car c'est un fait reconnu qu'il fut quarante-cinq fois stratège sans avoir assisté une seule fois aux élections, mais toujours rappelé par ses concitoyens, qui votaient pour lui bien qu'il fût absent. Aussi les gens peu sensés s'étonnaient-ils de cette conduite du peuple à l'égard de Phocion, qui heurtait presque constamment les Athéniens et ne disait ni ne faisait jamais rien pour leur plaire. On approuve que les rois n'utilisent leurs flatteurs qu'après s'être lavé les mains ; de même le peuple ne se servait des démagogues spirituels et plaisants qu'en guise d'amusement, mais, toujours sage et sérieux quand il s'agissait de pourvoir les charges, il y appelait le plus austère et le plus raisonnable des citoyens, celui qui, seul, ou du moins plus que tout autre, s'opposait à ses velléités et à ses caprices. Un jour, on donna lecture d'un oracle, venu de Delphes, disant que tous les Athéniens étaient d'accord à l'exception d'un seul, dont l'opinion s'opposait à celle de la ville ; Phocion, montant alors à la tribune, déclara que l'on n'avait pas à se mettre en peine de chercher : "C'est moi qui suis visé, dit-il, car je suis le seul à qui rien ne plaise de ce qui se fait ici."

Plutarque, Phocion, 7, 5 -8.

 

 



Mise à jour du : 15/12/98