Le dérèglement des femmes est à la fois
nuisible à l'esprit de la constitution et au bonheur de la cité ; de même que l'homme
et la femme sont une partie essentielle de la maison, l'Etat doit évidemment être
considéré aussi comme partagé presque également entre la masse des hommes et celle des
femmes, si bien que dans toutes les constitutions où la condition des femmes est mal
définie, la moitié de la cité doit être considérée comme sans lois. C'est
précisément ce qui est arrivé à Lacédémone : le législateur, voulant donner de
l'endurance à toute la cité, a bien suivi cette ligne en ce qui concerne les hommes,
mais ne s'en est pas soucié au sujet des femmes ; aussi vivent-elles sans contrainte dans
un dérèglement total et dans la mollesse.
Le résultat inévitable, dans une telle constitution, c'est que la richesse
est en honneur, surtout si les hommes se trouvent dominés par les femmes, comme c'est le
cas de la plupart des peuples militarisés et belliqueux, à l'exception des Celtes et de
quelques autres où les relations entre hommes sont manifestement en honneur. L'auteur
primitif du mythe paraît avoir, non sans raison, imaginé l'union d'Arès et d'Aphrodite,
car tous les gens de cette espèce sont manifestement enclins soit à l'amour entre
hommes, soit à l'amour des femmes. Aussi cette dernière forme d'amour était-elle
courante chez les Laconiens et beaucoup d'affaires, au temps de leur hégémonie,
étaient-elles traitées par les femmes. Au reste, quelle différence y a-t-il que les
femmes gouvernent ou que les gouvernants soient gouvernés par les femmes ? Le résultat
est identique. Alors que l'audace ne sert à rien dans la vie courante et n'a d'emploi,
s'il en a un vraiment, qu'en temps de guerre, les femmes, même en ce domaine, ont fait
aux Laconiens le plus grand tort. Elles le montrèrent bien lors de l'invasion thébaine :
parfaitement inutiles comme dans les autres Etats, elles causèrent plus de trouble que
les ennemis. Ce dérèglement des femmes semble avoir eu, à l'origine, une bonne raison
de s'introduire chez les Laconiens : par suite des expéditions militaires, les hommes
restaient longtemps loin de leur pays, guerroyant contre les Argiens, et ensuite contre
les Arcadiens et les Messéniens ; les loisirs revenus, ils étaient prêts par leur vie
militaire (qui comporte bien des formes de vertu) à se mettre à la disposition du
législateur ; les femmes au contraire, Lycurgue, dit-on, essaya de les soumettre aux
lois, mais, comme elles lui résistaient, il dut y renoncer. Telles sont donc les causes
de ce qui s'est produit, et aussi, évidemment, de cet échec de la constitution.
Aristote, Politique, II, ch. 9, par. 5-12. |