Conseils donnés aux agriculteurs

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  Ayez d'abord une maison, une femme et un bœuf de labour – une femme achetée, non pas épousée, qui, au besoin, puisse suivre les bœufs – et dans la maison préparez tous les instruments qu'il faut, afin de n'avoir pas à les demander à un autre : qu'il refuse, tu restes en peine, la saison passe et l'ouvrage est perdu. Ne remettez rien ni au lendemain, ni au surlendemain : qui néglige sa besogne n'emplit pas sa grange ; pas davantage qui la remet. C'est le zèle qui fait valoir l'ouvrage. Qui remet sa besogne, à chaque fois porte un défi au désastre.
   Quand la fougue du soleil aigu suspend sa moiteur, que le tout-puissant Zeus verse les pluies d'automne et que le corps de l'homme devient plus agile – c'est le moment où Sirius, au-dessus de la tête des humains voués au trépas, chemine peu durant le jour et emprunte plutôt aux nuits – alors le bois qu'abat la hache risque moins d'être attaqué des vers ; il répand son feuillage à terre et arrête sa frondaison. Coupez donc alors le bois, si vous avez souvenance des travaux de chaque saison [...] Semez au moment où vous entendrez la voix de la grue lancer du haut des nuages son appel de chaque année. Elle apporte le signal des semailles et annonce la venue de l'hiver pluvieux. Son cri mord le cœur de l'homme qui n'a pas de bœufs ; car c'est le moment de nourrir chez soi des bœufs aux cornes recourbées. Facile de dire : " Donne-moi tes bœufs et ton chariot ". Mais facile aussi de répondre : " Mes bœufs ont leur ouvrage "…
   Dès que le jour des semailles aura lui pour les mortels, à l'ouvrage aussitôt ! Serviteurs et maître ensemble, et, sèche ou trempée, labourez la terre dans la saison des labours, en vous y prenant de bonne heure ; ainsi vos champs se couvriront d'épis. Ensemencez la jachère quand la terre est légère encore ; retournez-la au printemps, binez-la en été, elle ne décevra pas vos espérances : la jachère écarte les maléfices et apaise les pleurs des enfants.
   Priez Zeus infernal et la pure Déméter de rendre lourd en sa maturité le blé sacré de Déméter, au moment même où, commençant le labourage et tenant en main la poignée qui termine le mancheron, vous toucherez le dos des bœufs qui tirent sous la clé du joug [...] Ainsi vos épis au moment de leur plénitude ploieront vers la terre, si plus tard Zeus Olympien consent à leur donner une heureuse maturité ; vous écarterez de vos pots les toiles d'araignée... Vous vivrez à l'aise jusqu'au clair printemps, sans jeter sur les autres de regards d'envie : ce sont les autres bien plus qui auront besoin de vous.

Hésiode, Les travaux et les jours, 405-475

 

Introduction

   Le texte présente des conseils donnés aux agriculteurs, sur les travaux à effectuer ainsi que leur ordre au cours d'un cycle agricole. L'auteur en est Hésiode, un écrivain grec du VIIIe siècle, plus exactement un poète. Son année de naissance est incertaine, et sa mort est entourée de légende. Son père a immigré en Béotie où il a acquis un lopin de terre, et à sa mort, ses deux fils, Hésiode et Persès se partagent la propriété.
   L'héritage est mal accepté et entraîne un procès entre les deux frères. C'est à cette occasion qu'Hésiode écrit Les Travaux et les jours, à l'intention de son frère, pour régler l'affaire à l'amiable. L'ouvrage est axé autour de deux vérités morales : le travail est la grande loi de l'humanité et celui qui travaille peut vivre décemment. A c'est deux vérités, il faut ajouter le contexte du moment : une crise agraire menaçante et les vagues de colonisation à la recherche de nouvelles terres. C'est ce contexte qui forme la toile de fond de l'ouvrage.
   D'Hésiode, on connaît un autre ouvrage dans son intégralité : la Théogonie. Ce dernier présente l'histoire des générations successives des dieux en portant un hymne à la gloire de Zeus et présente le mythe des races d'hommes (or, argent, bronze, héros, fer). Nous sont aussi parvenus les fragments de deux autres œuvres : les Eées et le bouclier d'Héraclès.
   Pour en revenir au document, cet extrait est une source particulièrement intéressante pour la connaissance de l'agriculture en Grèce archaïque. Mais il faut noter que les travaux et les jours n'a pas la vocation d'un ouvrage général sur l'agriculture et qu'il conserve donc de nombreuses spécificités à propre à la Béotie et au cas d'Hésiode.
   Tout d'abord, Hésiode laisse transparaître par son langage et par quelques indices les cadres naturels et techniques de l'agriculture ainsi que des aspect de la propriété et de la main d'œuvre, évidence pour les contemporains, mais qu'il nous faut reconstituer. Et dans un large développement, il nous permet de découvrir les travaux et les cultures de l'agriculteur.

 

 

I] Les cadres naturels et techniques de l'agriculture


   Ces cadres sont propre à l'ensemble du monde grec ; ils font partie de la civilisation hellénistique. C'est pourquoi Hésiode soit en parle brièvement, soit n'en fait pas référence directe. C'est donc au détour des mots qu'on peut reconstituer des cadres naturels, techniques et religieux.

         1) Le milieu : un biotope difficile
   Le travail de l'agriculteur apparaît particulièrement difficile. On s'aperçoit d'un tâche constante nécessaire ; d'un effort quasi journalier. C'est que la terre grecque réclame un travail assidu ! Hésiode lui-même se moque des terres léguées par son père : elles sont élevées, rocailleuses et de médiocre qualité. D'une façon générale :
              
Sur les versants, ce sont les pluies violentes qui dégradent les terrasses. Et si elles ne sont pas entretenues régulièrement, c'est le passage à la friche qui envahit les terres qui ne sont plus cultivables.
               Dans les plaines basses, inscrites dans des bassins, les écoulements, s'il ne sont pas entretenus, forment des accumulations d'eau. Et c'est alors le développement de la malaria qui frappe les populations. Dans sa Géographie, Strabon insiste sur ce problème des écoulements dans son développement sur la Béotie
   Ces graves défaut du biotope doivent donc être continuellement corrigés par un intense travail humain ; dès que l'homme desserre son emprise sur le milieu, il en perd le contrôle.

   D'un autre côté, le climat grec apparaît comme particulièrement contrastés.
               Les pluies : Hésiode nous dit qu'elle tombe en Automne ; que l'Hiver est pluvieux. Et ces pluies qui ne tombe que la moitié de l'année ne sont valeurs sures : il faut prier. En effet, Ascra reçoit en moyenne 550mm de pluie par an. De Lébadée à Chalcis, on passe de 732 à 432mm. C'est à peu près autant que Paris. Et pourtant, Hésiode se plaint
               La sécheresse : C'est que 80% des précipitations tombent en hiver sous forme violente. Aussi, pour le reste de l'année Hésiode parle de " fougue du soleil aigu "  et d'une terre qui peut " sèche ou trempée ". Il y a donc une réelle aridité estivale, dû à une diminution notable des précipitations en automne et à des pressions qui apportent des vents desséchants. Aussi nombre des régions de Grèce connaissent de terribles sécheresses avec des pierres brûlantes et des terres craquelées.

         2) La technique : les outils du travail
   Hésiode parle à plusieurs reprises de labour. Mais avec quel outil ? Tractée par les bœufs, l'araire est l'outil caractéristique de l'antiquité. Il est tout en bois composé d'une pièce qui pénètre le sol : le sep (chêne), relié au timon (laurier, orme) par une haye de chêne vert. Le chambige ou clef du joug relie l'outil à l'animal.
   Il ne faut pas le confondre avec la charrue ; dissymétrique, qui découpe verticalement et arrache horizontalement, retournant la terre. L'araire est symétrique et ne retourne pas la terre ; elle en effrite la couche superficielle. C'est pourquoi, il arrive fréquemment d'effectuer deux, trois voire même quatre passage avant le semis.
   Mais ce monument cache une autre réalité. Hésiode présente des agriculteurs n'ont ni bœufs ni charrue. Ils en demandaient le prêt au voisin et il est probable qu'il se louent chez ce voisin pour en obtenir le prêt. Il y a donc forcément une grande importance du travail à bras : plus le paysan est pauvre, moins il a la possibilité de louer ou se faire prêter un attelage, et avec la présence de murets de pierres sèches autour des parcelles, c'est toute une partie des terres qui ne peuvent être labourées. Les hommes ont alors recours à la houe, à la pioche et à la bêche.

         3) Les forces vives de la nature
   Le passage d'Hésiode comporte de nombreuses références à la nature comme ordonnatrice et aux divinités. Elles font partie de la civilisation grecque, et comme elles dirigent la vie publique, la vie privée, elle dirigent les travaux agricoles.
   Ce sont des manifestations de la nature qui délimitent les saisons et rythment la vie du paysan :
               Le soleil et les pluies + Sirius : Automne
               Passage des grues  : Hiver
               Printemps et Eté se définissent par l'état de la terre : trempée ou sèche.

   C'est un courant religieux qui exalte les forces de la nature. Il est dominé par des divinités féminines qui correspondent à la fécondité et à la fertilité. La principale de ces divinités est Déméter, représenté un épis de blé à la main. C'est elle qui apporte la maturité aux épis. Zeus est le roi des dieux, et donc c'est lui qui décide de tout : il faut son accord préalablement. On peut aussi voir Zeus, gouvernant les cieux et donc dispensateur de la pluie.
   Le travail des champs apparaît chez Hésiode comme un comportement religieux : le paysan doit effectuer avec le ritualisme des saisons, les travaux inspirés des dieux.

   Ces trois éléments, sont des généralités dans la civilisation grecque ; on peut donc les étendre à l'ensemble du monde grec antique.
   La principale qualité de l'agriculture grecque n'est pas son milieu qui connaît de graves défaut ni les outils simples et rudimentaires. C'est donc les hommes et leur labeur constant ordonné autour d'une religion de la nature omniprésente qui en sont la grande force. Il faut donc voir maintenant comment les hommes s'organisent pour fournir ce travail.

 

 

II] L'organisation humaine


         1) La propriété
   Indispensable à l'agriculteur est sa terre. Hésiode nous apporte des éléments sur sa taille. On remarque aisément que le nombre de personnes travaillant sur la propriété est limité : on entend parler d'un agriculteur, d'une femme, et de serviteurs. On a vu que l'essentiel du travail était fourni par la charrue et par le travail à bras. On peut donc miser sur une propriété restreinte dont l'objectif est d'ailleurs la subsistance de la famille.
   En effet la taille moyenne des exploitations varie entre 3,5 et 5,2 hectares. Selon
M.-Cl Amouretti, 4ha consacré au blé permet de nourrir 2 à 6 personnes. Ce qui vérifie l'hypothèse. Cette exiguïté des exploitations est accentuée à l'époque d'Hésiode par la crise agraire et c'est une des cause des vagues de colonisation.
   Sur la propriété, la maison. Elle fait office de ferme, car elle doit comprendre une pièce pour les bœufs, une autre pour habitations, et des bâtiments d'exploitations pour stocker le grain et les outils.

         2) Les forces du travail
   Cette exploitation est travaillée, et tout travail demande énergie. Ors les deux principales énergies de l'antiquité sont le travail de l'animal et celui de l'homme.
   Le travail animal est ici celui des bœufs. C'est eux qui tractent l'araire et fournissent l'essentiel du travail. Il existe d'autres animaux de trais, parfois plus accessibles : les mulets et ânes, mais ils ne sont pas disponibles pour tous les paysans, et on a vu l'importance du travail à bras, surtout dans les petites exploitations.
   Ce travail doit donc être fournit par l'homme. Ce travail supplémentaire, le propriétaire ne peut la fournir, ni sa famille : travailler plus sa terre, c'est négliger le travail d'entretien ; augmenter sa famille, c'est augmenter le nombre de dots et menacer une segmentation du patrimoine. Il lui reste donc deux solutions : le travail salarié et l'esclavage. Chez Hésiode, on perçoit la part importante de l'esclavage : sur les 3 personnages cités, deux sont esclaves : la femme et les serviteurs.

         3) Le modèle autarcique du paysan propriétaire
   On l'aura vu, dans son organisation, le paysan suit un modèle autarcique : Il travaille pour nourrir sa famille, sur une propriété qui le lui permet tout juste. Il doit avoir à sa disposition tout ce dont il a besoin et ne compter sur l'aide de personne. C'est lui qui nourrit ses bœufs, c'est lui qui construit ses outils, et c'est à lui que sont destinés les récoltes. L'assistance et l'aide sont anormales dans les propos d'Hésiode ; compter dessus, c'est courir à sa perte.
   Ce modèle autarcique est typique de la civilisation grecque ; sur une vision plus large, les cités cherchant à être vivre sur elle-même. Mais ce modèle demeure un idéal prôné par Hésiode ; le simple fait qu'il insiste dessus porte à le penser. Un paysan qui se loue à un autre pour en obtenir le prêt de la charrue, les avances de semences et de nourritures apparaissent comme des pratiques fréquentes.

   L'agriculteur travaille avec des esclaves, une petite propriété. Ce sont eux qui fournissent l'essentiel des forces de travail ; la propriété ne doit compter sur personnes d'autres pour assurer sa subsistance.
   Il faut donc que les taches à accomplir soit strictement planifiée et optimisée pour que de la culture du petit lopin de terre, la famille au sens large puisse survivre. C'est pourquoi Hésiode donne ici des conseils pour le travail des agriculteurs.

 

 

III] Les travaux et les cultures


         1) Les cultures
   On en vient à l'aspect principal de l'extrait d'Hésiode qui est la présentation d'un calendrier agricole idéal. Hésiode écrit en poésie et c'est donc en tant que prophète, qu'il apporte ce calendrier.

a) Le bois
   Le bois est coupé en début de l'automne, pour éviter qu'il ne pourrisse. Le bois est le matériaux essentiel à la construction de toutes choses dans l'antiquité : la maison est faite en bois, et l'agriculteur à besoin de bois pour fabriquer chez lui le chariot, le mortier, et aussi l'araire. Si on coupe le bois en Automne, c'est aussi en prévision de l'hiver, rude à Ascra (montagne enneigée) comme ailleurs. Il faudra donc ne pas manquer en bois de chauffe. Il ne faut pas non plus oublier les fortes demandes en provenance en provenance de la flotte.

b) Les céréales
   Mais la majeur partie du texte est consacré aux semailles, au labour et au blé sacré de Déméter. C'est en fin d'automne, début d'Hiver, qu'on ensemence la terre. Tous les efforts sont réunis dans l'ouvrage. On pratique le labour d'enfouissement après avoir prié Zeus et Déméter. Après le passage, un esclave cache les semences dans la terre. C'est une opération importante car elle met en jeu le futur. La période de soudure se situe au Printemps : un bon semis permettant de "vivre à l'aise jusqu'au clair printemps". La moisson à donc lieu au printemps.
   On remarqua que contrairement à l'occident, il n'y a apparemment pas de culture des céréales de printemps. Cette situation se justifie par le déficit d'eau à cette période et aux sécheresses qui suivent.
   Hésiode se consacrent à la culture des céréales ; il apparaît que sa propriété y est toute entière consacrée. Par blé sacré de Déméter, on peut entendre toutes les céréales : blé, orge ou millet. Il est difficile de savoir à laquelle il se consacre. C'est la principale source en amidon et donc en calories du monde grec. L'orge est la plus cultivée ; en Attique, elle représente 90% des céréales. Ainsi, les béotiens sont-ils appelés les mangeurs de miches, la maza, galette de grains d'orge grillés. Le pain est cuit, obtenu à partir de la farine de blé.

         2) L'assolement biennal
   Hésiode présente le travail de la jachère. En automne on l'ensemence elle aussi. Il pratique donc la jachère cultivée, ce qui permet de la nourrire et d'éviter le dessèchement du sol. La jachère est également travaillée : elle est retournée au printemps et binée en été. Cela pour enfouir les chaumes et mauvaises herbes et ameublir la terre.
   La culture du blé s'étale sur un an et le travail de la jachère aussi. Le système est donc l'assolement biennal, le plus répandu à l'époque archaïque. Dans les régions les plus arides, la jachère peut même être maintenue plusieurs années.
   Les grec ont bien sur cherche à mieux utiliser le sol. Mais l'intégration d'une troisième culture comme les légumineuses, ce qui entraîne le régime de l'assolement triennal, est difficile : elle se heurte au limite du climat : les légumineuses puisent dans les réserves hydrique, et aux limites humaines : l'intensification de la production demande une augmentation équivalente de la main d'œuvre du à l'absence de machinisme

         3) Une autre réalité
   Ce qu'Hésiode présente ici, c'est un programme pour résoudre le problème de la crise agraire et permettre au petit paysan de survivre. La jachère cultivée et travaillée est loin d'être généralisée : la pratique la plus courante étant la jachère longue, laissée sans travail. De même la spécialisation des culture, ici le blé, est la spécificité de certaine région qui peuvent vivre de la monoculture : le vin à Thasos, l'huile à Marseille, le blé en Thessalie et en Béotie. Mais traditionnellement, l'agriculture grecque est diversifiée : une partie de l'exploitation porte des céréales et la vigne, une autre fait pousser des arbres et des oliviers.

 

 

   Les conseils d'Hésiode s'inscrivent dans un monde où toute la tradition est orale, transmise de père en fils. Ce qu'il apporte, ce sont donc des nouveautés, des propositions à appliquer pour résoudre la crise agraire. Mais pour cela il prend l'exemple de ces terres qui sont une des nombreuses spécificités du monde grec.
   Il faut donc séparer ce qui est propre à la civilisation grecque comme les cadres géographiques, techniques et religieuses de ce qui est spécifique au cas d'Hésiode : la culture spécialisée du blé et l'assolement biennal qui n'est pas encore la règle. Entre les deux, la taille des propriétés et l'utilisation de la main d'œuvre doit être nuancé suivant les régions et les époques.
   On rejoint ici une composante essentielle du monde grec : l'existence autour du noyau commun de la civilisation grecque de particularités à l'échelle des régions mais aussi des cités.



Mise à jour du : 15/12/98