Conseils donnés aux agriculteurs
Ayez d'abord une
maison, une femme et un buf de labour une femme achetée, non pas épousée,
qui, au besoin, puisse suivre les bufs et dans la maison préparez tous les
instruments qu'il faut, afin de n'avoir pas à les demander à un autre : qu'il refuse, tu
restes en peine, la saison passe et l'ouvrage est perdu. Ne remettez rien ni au lendemain,
ni au surlendemain : qui néglige sa besogne n'emplit pas sa grange ; pas davantage qui la
remet. C'est le zèle qui fait valoir l'ouvrage. Qui remet sa besogne, à chaque fois
porte un défi au désastre. Hésiode, Les travaux et les jours,
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Introduction
Le texte présente des conseils donnés aux agriculteurs,
sur les travaux à effectuer ainsi que leur ordre au cours d'un cycle agricole. L'auteur
en est Hésiode, un écrivain grec du VIIIe siècle, plus exactement un poète. Son année de naissance est incertaine, et sa
mort est entourée de légende. Son père a immigré en Béotie où il a acquis un lopin de terre, et à sa mort, ses deux fils, Hésiode et Persès se partagent la propriété.
L'héritage est mal
accepté et entraîne un procès entre les deux frères. C'est à cette occasion
qu'Hésiode écrit Les Travaux et les jours, à l'intention de son frère, pour régler l'affaire à l'amiable.
L'ouvrage est axé autour de deux vérités morales : le travail est la grande loi de
l'humanité et celui qui travaille peut vivre décemment. A c'est deux vérités, il faut
ajouter le contexte du moment : une crise agraire menaçante et les vagues de
colonisation à la recherche de nouvelles terres. C'est ce contexte qui forme la toile de
fond de l'ouvrage.
D'Hésiode, on connaît un
autre ouvrage dans son intégralité : la Théogonie. Ce dernier présente l'histoire des générations successives des dieux
en portant un hymne à la gloire de Zeus et présente le mythe des races d'hommes (or,
argent, bronze, héros, fer). Nous sont aussi parvenus les fragments de deux autres
uvres : les Eées et le bouclier d'Héraclès.
Pour en revenir au
document, cet extrait est une source particulièrement intéressante pour la connaissance
de l'agriculture en Grèce archaïque. Mais il faut noter que les travaux et les
jours n'a pas la vocation d'un ouvrage général sur l'agriculture et qu'il
conserve donc de nombreuses spécificités à propre à la Béotie
et au cas d'Hésiode.
Tout d'abord, Hésiode laisse transparaître par son
langage et par quelques indices les cadres naturels et techniques de l'agriculture ainsi
que des aspect de la propriété et de la main d'uvre, évidence pour les
contemporains, mais qu'il nous faut reconstituer. Et dans un large développement, il nous
permet de découvrir les travaux et les cultures de l'agriculteur.
Ces cadres sont propre à l'ensemble du monde grec ; ils font partie de
la civilisation hellénistique. C'est pourquoi Hésiode soit en parle brièvement, soit
n'en fait pas référence directe. C'est donc au détour des mots qu'on peut reconstituer
des cadres naturels, techniques et religieux.
1) Le
milieu : un biotope difficile
Le travail de l'agriculteur apparaît
particulièrement difficile. On s'aperçoit d'un tâche constante nécessaire ; d'un
effort quasi journalier. C'est que la terre grecque réclame un travail assidu !
Hésiode lui-même se moque des terres léguées par son père : elles sont élevées,
rocailleuses et de médiocre qualité. D'une façon générale :
Sur les versants, ce sont les pluies
violentes qui dégradent les terrasses. Et si elles ne sont pas entretenues
régulièrement, c'est le passage à la friche qui envahit les terres qui ne sont plus
cultivables.
Dans les plaines basses,
inscrites dans des bassins, les écoulements, s'il ne sont pas entretenus, forment des
accumulations d'eau. Et c'est alors le développement de la malaria qui frappe les
populations. Dans sa Géographie, Strabon insiste sur ce problème des écoulements dans son développement sur la
Béotie
Ces graves défaut du
biotope doivent donc être continuellement corrigés par un intense travail humain ;
dès que l'homme desserre son emprise sur le milieu, il en perd le contrôle.
D'un autre côté, le
climat grec apparaît comme particulièrement contrastés.
Les pluies :
Hésiode nous dit qu'elle tombe en Automne ; que l'Hiver est pluvieux. Et ces pluies
qui ne tombe que la moitié de l'année ne sont valeurs sures : il faut prier. En
effet, Ascra reçoit en moyenne
550mm de pluie par an. De Lébadée à Chalcis, on
passe de 732 à 432mm. C'est à peu près autant que Paris. Et pourtant, Hésiode se
plaint
La sécheresse :
C'est que 80% des précipitations tombent en hiver sous forme violente. Aussi, pour le
reste de l'année Hésiode parle de " fougue du soleil aigu " et
d'une terre qui peut " sèche ou trempée ". Il y a donc une réelle
aridité estivale, dû à une diminution notable des précipitations en automne et à des
pressions qui apportent des vents desséchants. Aussi nombre des régions de Grèce
connaissent de terribles sécheresses avec des pierres brûlantes et des terres
craquelées.
2) La technique : les outils du travail
Hésiode parle à plusieurs reprises de labour. Mais avec quel outil ?
Tractée par les bufs, l'araire est l'outil caractéristique de l'antiquité. Il est
tout en bois composé d'une pièce qui pénètre le sol : le sep (chêne), relié au
timon (laurier, orme) par une haye de chêne vert. Le chambige ou clef du joug relie
l'outil à l'animal.
Il ne faut pas le
confondre avec la charrue ; dissymétrique, qui découpe verticalement et arrache
horizontalement, retournant la terre. L'araire est symétrique et ne retourne pas la
terre ; elle en effrite la couche superficielle. C'est pourquoi, il arrive
fréquemment d'effectuer deux, trois voire même quatre passage avant le semis.
Mais ce monument cache une
autre réalité. Hésiode
présente des agriculteurs n'ont ni bufs ni charrue. Ils en demandaient le prêt au
voisin et il est probable qu'il se louent chez ce voisin pour en obtenir le prêt. Il y a
donc forcément une grande importance du travail à bras : plus le paysan est pauvre,
moins il a la possibilité de louer ou se faire prêter un attelage, et avec la présence
de murets de pierres sèches autour des parcelles, c'est toute une partie des terres qui
ne peuvent être labourées. Les hommes ont alors recours à la houe, à la pioche et à
la bêche.
3) Les forces vives de la nature
Le
passage d'Hésiode comporte de
nombreuses références à la nature comme ordonnatrice et aux divinités. Elles font
partie de la civilisation grecque, et comme elles dirigent la vie publique, la vie
privée, elle dirigent les travaux agricoles.
Ce sont des manifestations
de la nature qui délimitent les saisons et rythment la vie du paysan :
Le soleil et les pluies +
Sirius : Automne
Passage des grues :
Hiver
Printemps et Eté se
définissent par l'état de la terre : trempée ou sèche.
C'est un courant religieux
qui exalte les forces de la nature. Il est dominé par des divinités féminines qui
correspondent à la fécondité et à la fertilité. La principale de ces divinités est Déméter, représenté un épis de blé à
la main. C'est elle qui apporte la maturité aux épis. Zeus est le roi des dieux, et donc c'est lui qui décide de tout : il
faut son accord préalablement. On peut aussi voir Zeus, gouvernant les cieux et donc dispensateur de la pluie.
Le travail des champs
apparaît chez Hésiode comme un
comportement religieux : le paysan doit effectuer avec le ritualisme des saisons, les
travaux inspirés des dieux.
Ces trois éléments, sont des
généralités dans la civilisation grecque ; on peut donc les étendre à l'ensemble du
monde grec antique.
La principale qualité de
l'agriculture grecque n'est pas son milieu qui connaît de graves défaut ni les outils
simples et rudimentaires. C'est donc les hommes et leur labeur constant ordonné autour
d'une religion de la nature omniprésente qui en sont la grande force. Il faut donc voir
maintenant comment les hommes s'organisent pour fournir ce travail.
1) La
propriété
Indispensable à l'agriculteur est sa
terre. Hésiode nous apporte des éléments sur sa taille. On remarque aisément que le
nombre de personnes travaillant sur la propriété est limité : on entend parler
d'un agriculteur, d'une femme, et de serviteurs. On a vu que l'essentiel du travail était
fourni par la charrue et par le travail à bras. On peut donc miser sur une propriété
restreinte dont l'objectif est d'ailleurs la subsistance de la famille.
En effet la taille moyenne des exploitations varie entre 3,5 et 5,2 hectares.
Selon M.-Cl Amouretti, 4ha
consacré au blé permet de nourrir 2 à 6 personnes. Ce qui vérifie l'hypothèse. Cette
exiguïté des exploitations est accentuée à l'époque d'Hésiode par la crise agraire
et c'est une des cause des vagues de colonisation.
Sur la propriété, la
maison. Elle fait office de ferme, car elle doit comprendre une pièce pour les
bufs, une autre pour habitations, et des bâtiments d'exploitations pour stocker le
grain et les outils.
2) Les forces du travail
Cette
exploitation est travaillée, et tout travail demande énergie. Ors les deux principales
énergies de l'antiquité sont le travail de l'animal et celui de l'homme.
Le travail animal est ici
celui des bufs. C'est eux qui tractent l'araire et fournissent l'essentiel du
travail. Il existe d'autres animaux de trais, parfois plus accessibles : les mulets
et ânes, mais ils ne sont pas disponibles pour tous les paysans, et on a vu l'importance
du travail à bras, surtout dans les petites exploitations.
Ce travail doit donc être
fournit par l'homme. Ce travail supplémentaire, le propriétaire ne peut la fournir, ni
sa famille : travailler plus sa terre, c'est négliger le travail d'entretien ;
augmenter sa famille, c'est augmenter le nombre de dots et menacer une segmentation du
patrimoine. Il lui reste donc deux solutions : le travail salarié et l'esclavage.
Chez Hésiode, on perçoit la part importante de l'esclavage : sur les 3 personnages
cités, deux sont esclaves : la femme et les serviteurs.
3) Le modèle autarcique du paysan propriétaire
On
l'aura vu, dans son organisation, le paysan suit un modèle autarcique : Il travaille
pour nourrir sa famille, sur une propriété qui le lui permet tout juste. Il doit avoir
à sa disposition tout ce dont il a besoin et ne compter sur l'aide de personne. C'est lui
qui nourrit ses bufs, c'est lui qui construit ses outils, et c'est à lui que sont
destinés les récoltes. L'assistance et l'aide sont anormales dans les propos
d'Hésiode ; compter dessus, c'est courir à sa perte.
Ce modèle autarcique est
typique de la civilisation grecque ; sur une vision plus large, les cités cherchant
à être vivre sur elle-même. Mais ce modèle demeure un idéal prôné par
Hésiode ; le simple fait qu'il insiste dessus porte à le penser. Un paysan qui se
loue à un autre pour en obtenir le prêt de la charrue, les avances de semences et de
nourritures apparaissent comme des pratiques fréquentes.
L'agriculteur travaille avec
des esclaves, une petite propriété. Ce sont eux qui fournissent l'essentiel des forces
de travail ; la propriété ne doit compter sur personnes d'autres pour assurer sa
subsistance.
Il faut donc que les
taches à accomplir soit strictement planifiée et optimisée pour que de la culture du
petit lopin de terre, la famille au sens large puisse survivre. C'est pourquoi Hésiode
donne ici des conseils pour le travail des agriculteurs.
1) Les
cultures
On en vient à l'aspect principal de
l'extrait d'Hésiode qui est la présentation d'un calendrier agricole idéal. Hésiode
écrit en poésie et c'est donc en tant que prophète, qu'il apporte ce calendrier.
a) Le bois
Le bois est coupé en début de l'automne, pour
éviter qu'il ne pourrisse. Le bois est le matériaux essentiel à la construction de
toutes choses dans l'antiquité : la maison est faite en bois, et l'agriculteur à besoin
de bois pour fabriquer chez lui le chariot, le mortier, et aussi l'araire. Si on coupe le
bois en Automne, c'est aussi en prévision de l'hiver, rude à Ascra (montagne enneigée)
comme ailleurs. Il faudra donc ne pas manquer en bois de chauffe. Il ne faut pas non plus
oublier les fortes demandes en provenance en provenance de la flotte.
b) Les céréales
Mais la majeur partie du texte est consacré aux
semailles, au labour et au blé sacré de Déméter. C'est en fin d'automne, début
d'Hiver, qu'on ensemence la terre. Tous les efforts sont réunis dans l'ouvrage. On
pratique le labour d'enfouissement après avoir prié Zeus et Déméter. Après le
passage, un esclave cache les semences dans la terre. C'est une opération importante car
elle met en jeu le futur. La période de soudure se situe au Printemps : un bon semis
permettant de "vivre à l'aise jusqu'au clair printemps". La moisson à donc
lieu au printemps.
On remarqua que contrairement à l'occident, il n'y a apparemment pas de
culture des céréales de printemps. Cette situation se justifie par le déficit d'eau à
cette période et aux sécheresses qui suivent.
Hésiode se consacrent à la culture des céréales ; il apparaît que sa
propriété y est toute entière consacrée. Par blé sacré de Déméter, on peut
entendre toutes les céréales : blé, orge ou millet. Il est difficile de savoir à
laquelle il se consacre. C'est la principale source en amidon et donc en calories du monde
grec. L'orge est la plus cultivée ; en Attique, elle représente 90% des céréales.
Ainsi, les béotiens sont-ils appelés les mangeurs de miches, la maza, galette de grains
d'orge grillés. Le pain est cuit, obtenu à partir de la farine de blé.
2)
L'assolement biennal
Hésiode présente le travail de la
jachère. En automne on l'ensemence elle aussi. Il pratique donc la jachère cultivée, ce
qui permet de la nourrire et d'éviter le dessèchement du sol. La jachère est également
travaillée : elle est retournée au printemps et binée en été. Cela pour enfouir les
chaumes et mauvaises herbes et ameublir la terre.
La culture du blé s'étale sur un an et le travail de la jachère aussi. Le
système est donc l'assolement biennal, le plus répandu à l'époque archaïque. Dans les
régions les plus arides, la jachère peut même être maintenue plusieurs années.
Les grec ont bien sur cherche à mieux utiliser le sol. Mais l'intégration
d'une troisième culture comme les légumineuses, ce qui entraîne le régime de
l'assolement triennal, est difficile : elle se heurte au limite du climat : les
légumineuses puisent dans les réserves hydrique, et aux limites humaines :
l'intensification de la production demande une augmentation équivalente de la main
d'uvre du à l'absence de machinisme
3) Une
autre réalité
Ce qu'Hésiode présente ici, c'est un
programme pour résoudre le problème de la crise agraire et permettre au petit paysan de
survivre. La jachère cultivée et travaillée est loin d'être généralisée : la
pratique la plus courante étant la jachère longue, laissée sans travail. De même la
spécialisation des culture, ici le blé, est la spécificité de certaine région qui
peuvent vivre de la monoculture : le vin à Thasos, l'huile à Marseille, le blé en
Thessalie et en Béotie. Mais traditionnellement, l'agriculture grecque est diversifiée :
une partie de l'exploitation porte des céréales et la vigne, une autre fait pousser des
arbres et des oliviers.
Les conseils d'Hésiode s'inscrivent dans un monde où
toute la tradition est orale, transmise de père en fils. Ce qu'il apporte, ce sont donc
des nouveautés, des propositions à appliquer pour résoudre la crise agraire. Mais pour
cela il prend l'exemple de ces terres qui sont une des nombreuses spécificités du monde
grec.
Il faut donc séparer ce qui est propre à la civilisation grecque comme les
cadres géographiques, techniques et religieuses de ce qui est spécifique au cas
d'Hésiode : la culture spécialisée du blé et l'assolement biennal qui n'est pas encore
la règle. Entre les deux, la taille des propriétés et l'utilisation de la main
d'uvre doit être nuancé suivant les régions et les époques.
On rejoint ici une composante essentielle du monde grec : l'existence autour
du noyau commun de la civilisation grecque de particularités à l'échelle des régions
mais aussi des cités.
Mise à jour du : 15/12/98